Pourquoi le HD DVD est mort
Qu’est ce qui a tué la galette rouge ? La PS3 ? Le maigre support des Studios ? Le marketing de Toshiba ? La grande distribution ? DVDFR analyse les raisons qui ont mené le HD DVD à sa perte
Pour le dire avec les mots du New York Times, « le HD DVD, le format chéri de Toshiba et trois Studios hollywoodiens, est mort vendredi après une courte maladie. Il est établi que la cause du décès a été la décision de Wal-Mart de référencer uniquement les disques et lecteurs haute définition au format Blu-ray ».
Ou, selon les mots d’un « insider » du camp Blu-ray qui savoure le moment, « ce fut le Massacre de la Semaine de la Saint-Valentin ».
Certains diront que le HD DVD a été blessé au coeur par l’annonce de Warner, et que Wal-Mart a fini par l’achever (avec la participation des estocades de Netflix et Best Buy, plus tôt dans la semaine). Mais les causes qui ont provoqué l’agonie du HD DVD sont plus nombreuses et complexes.
Dans l’attente du certificat officiel de décès, que Toshiba ne devrait pas tarder à délivrer, nous analysons ici quelques repères où le HD DVD a été distancé par le Blu-ray, ou a carrément raté le coche :
Le support des studios :
Il fut un temps où Warner Bros était un studio « rouge ». La composition des équipes idéales a prix du temps, de la sueur et des considérations financières. Mais pendant un moment, le HD DVD a fait la course en tête : début 2005, il pouvait compter sur le soutien exclusif de Warner, Universal et New Line, et bientôt Paramount (contre Sony et Disney pour le Blu-ray).
Mais dans la même année, 20th Century Fox rejoint le Blu-ray et égalise les forces. Et à l’automne 2005, Paramount et Warner décident de soutenir les deux formats, pendant que New Line se met en veilleuse.
À partir de là, le Blu-ray a pu compter sur un catalogue et une part de marché au box-office plus significatifs. Le HD DVD essaiera à quelques reprises de s’attirer les faveurs de Disney et Fox, en vain. Il obtiendra uniquement Paramount. C’était le début de la fin.
Contenant ou contenu ?
Toshiba et Microsoft ont mené une stratégie qui s’apparente davantage au lancement d’une nouvelle game d’ordinateurs, qu’à de la vidéo. Le HD DVD a fait une mise en avant presque obsessionnelle de ses fonctions interactives avancées, jusqu’à proposer la vente en ligne du papier toilette d‘« Evan tout-puissant ».
Le concept de Toshiba était le suivant : le choix des films n’est pas un problème. Nous allons inonder le marché de platines à bas prix, on va charmer les technophiles avec nos fonctions avancées. Et un beau jour, les autres Studios ne pourront pas ignorer notre masse critique et il viendront vers nous.
Mais en face, le Blu-ray avait choisi la stratégie inverse : le contenu avant tout. Sony a estimé qu’une boîte reste une boîte, et que la meilleure carte de visite du BD était la haute définition - et donc la possibilité de voir ou revoir les films dans des conditions incomparables.
Tandis que Toshiba menait la course en tête dans la vente de platines, Sony et ses copains ont pris les rênes du box-office vidéo fin décembre 2006 aux États-Unis et quelques mois plus tard en Europe, et n’ont pas été rejoint depuis.
Le « blackout » des fêtes 2006 :
Toshiba avait une occasion rêvée pour prendre possession du marché naissant de la haute définition : la période des fêtes de fin 2006. Une campagne marketing globale avait été montée par le fabricant nippon en partenariat avec Warner et devait se lancer dans les principaux marchés mondiaux, avec une forte présence des platines en rayon.
Souvenons-nous qu’à cette époque Sony se battait contre vents et marées pour fabriquer assez de PS3 pour son lancement au Japon et États-Unis, que l’Europe avait été privée de PS3 jusqu’au début du printemps suivant et que le choix des platines Blu-ray se résumait à 3 ou 4 modèles terriblement chers et lents.
Mais…
La précipitation, un aléas industriel ou un souci de fabrication ont contraint Toshiba à renoncer à ses plans et à rater la période des fêtes de fin d’année. Les platines et une partie de la campagne marketing seront reportés aux premiers mois de 2007 mais à une époque beaucoup moins favorable aux dépenses des ménages.
La PS3 :
À l’automne 2006, le président de Warner de l’époque avait résumé ainsi la pensée unique du clan du HD DVD : « La PS3 n’aidera pas le Blu-ray Disc ».
Grosse erreur !. Toshiba a imaginé que le marché de la vidéo haute définition suivrait un modèle traditionnel, basé sur la vente des platines de salon. Mais en face, Sony a parié une part significative de ses ressources pour faire passer le message que la PS3 était en réalité un formidable centre de loisirs pour la maison, capable à la fois de lire des jeux et des films (et capable de fonctions « media center »). Les cibles initiales n’étaient plus les mêmes : plus cinéphiles pour le HD DVD, et plus dépensières pour le Blu-ray.
En 2007, Toshiba a regardé avec horreur l’inconnue PS3 dépasser ses obstacles logistiques et devenir une locomotive de vente des Blu-ray (surtout en Europe et Asie) à un niveau qu’elle n’avait pas anticipé.
Pire encore, le BD a fini par rattraper le HD même sur le terrain des platines dédiées aux États-Unis (malgré des prix 2 fois plus élevés) et depuis le début de l’année il mène la course en tête.
PS3 vs Xbox 360 :
Pour le dire en termes de freefight, cela a été le « smackdown » le plus décevant de 2007. On pourrait presque se demander si Sony et Microsoft ont consommé de fortes ressources à se faire la guerre, tellement la Wii a été au centre de l’attention.
Chacun des deux géants a dû panser ses blessures : Sony a été contrainte de baisser ses prix (et éloigner un peu son retour à la rentabilité) pour vendre davantage de PS3. Et Microsoft a détaché un gros chèque pour corriger ses soucis d‘« anneaux rouges de la mort » (taux de retour des XBox 360 en SAV très important).
Mais l’information plus significative est que le jeu vidéo se porte comme un charme, et il est parti pour 3 ou 4 ans de ventes excellentes. Les PS3 et XBox 360 ont eu une fin d’année glorieuse, la Wii a toujours le vent en poupe, la DS et la PSP se vendent comme des petits pains, et Sony arrive même a arracher un beau succès en rayon avec sa « vieille » PS2. Il semble bien qu’il y ait de la place pour tout le monde dans le jeu vidéo.
Et dans le secteur de la haute définition, on serait tenté de dire qu’il n’y a jamais eu de véritable guerre. Le Blu-ray est un élément essentiel de la PS3, alors que la X360 s’est contentée d’un lecteur externe optionnel. La première a depassé le cap des 10 millions d’unités, alors que le deuxième s’est vendu à quelques centaines de milliers de pièces.
Pour ne pas déstabiliser l’architecture de la XBox 360, Microsoft n’a jamais gratifié le HD DVD d’une solution intégrée « tout en un ». Son intérêt était ailleurs (VOD). La PS3 a toujours eu le champ libre pour faire ce qu’elle voulait. Qui plus est, Microsoft n’a pas fermé la porte à l’arrivée d’un lecteur Blu-ray sur sa console même si, à priori, ils ne devraient pas le commercialiser eux-même.
Marketing :
« La PS3 ne compte pas ». « Notre ratio de disques vendus par platine est meilleur ». « Notre format est finalisé, l’autre pas ». « Nous sommes le choix des consommateurs ». « Nos platines chinoises à bas prix vont arriver un jour et ne faire qu’une bouchée des autres ».
Si vous avez suivi la guerre des formats, vous connaissez ces slogans, qui ont constitué l’argumentaire marketing de Toshiba pendant ces 2 dernières années.
Rétrospectivement, nous pourrions résumer ces slogans d’une toute autre façon : « Nous sommes un château de cartes et nous passons notre temps à ravaler la façade et à espérer que le vent ne se lève pas ».
Tandis que le Blu-ray vendait des disques et bâtissait la confiance des grands revendeurs, le HD DVD s’est empêtré dans des promesses qu’il n’ a pas pu résoudre. La baisse de prix des platines leur aurait permis d’atteindre une masse critique. Ou alors ce seraient les clones chinois. Ou Matrix les aurait mis sur le devant de la scène. Ou plutôt Heroes. Ou plutôt encore Transformers. Ou alors Shrek 3…
La grande distribution :
Avec sa logique de prix sacrifiés, Toshiba a empêché de fait l’arrivée d’autres fabricants de 1er plan, mais a fini aussi par se mettre à dos les acteurs principaux de la grande distribution.
Avec ses prix coûtants, Toshiba est entrée dans une logique de vente en volume qui n’existera pas encore avant 3 ou 4 ans. En d’autres mots, du point de vue du revendeur, où est l’intérêt de vendre de faibles quantités avec des marges infimes, contre l’intérêt de vendre des quantités encore plus faibles, mais avec des marges très importantes ?
De plus, et malgré les idées reçues, la haute définition a eu un démarrage plus significatif que celui du DVD en son temps. Rien que du côté du Blu-ray, 2,37 millions de disques, 3,2 miliions de PS3 et 34 000 platines ont été vendus en Europe. Contre 2 millions de DVD et 230 000 platines en 1997/1998.
Après avoir passé un an à voir des clients potentiels leur passer sous le nez faute d’une fin de la guerre des formats, les revendeurs ont vu l’annonce de Warner comme l’occasion rêvée d’en finir une fois pour toutes avec l’incertitude. C’est chose faite…