Réalisé par Philippe Haïm
Avec
Jean Rochefort, Guillaume Canet et Claire Keim
Édité par Pathé
3 ans après « Descente », son premier court, Philippe Haïm,
jeune réalisateur, alors trentenaire encore inconnu du grand
public, s’attaque au long. Si la progression est logique, le
sujet choisi par Haïm l’est moins. Un vieux monsieur, devenu
fou à force d’isolement, décide de séquestrer un jeune homme,
son voisin de palier, et le soumet aux caprices que lui dicte
sa folie. Dans le rôle du vieux Monsieur, le candide Jean
Rochefort. Dans le rôle du séquestré, le bouillonnant
Guillaume Canet. Difficile de choisir casting plus improbable
et genre plus épineux. Qu’à cela ne tienne, Haïm relève le
gant. Pas question de laisser le huis clos policier, ce genre
très peu prisé des français, aux anglo-saxons. Le cinéaste
s’offre le luxe de chasser sur leurs terres avec en poche la
ferme résolution de faire différent d’un Barbet Schroeder,
d’un Danny Boyle ou d’un George Huang.
Pari risqué pour qui connaît la virtuosité des trois
cinéastes mais pari méritant qui ambitionne un seul et unique
objectif : sortir du lot. A la fois pour offrir aux
spectateurs quelque chose de nouveau. Une vision sans doute
sous influences mais résolument originale. A la fois pour se
faire connaître ou plus exactement reconnaître du grand
public, des producteurs et de ses pairs. L’exercice est on ne
peut plus sain. Les américains, sous l’impulsion de Robert
Redford et du Sundance Institute, le pratique avec infiniment
de succès. C’est même à la faveur de ce procédé qu’ils ont
donné un second souffle à la sclérosante machinerie
hollywoodienne. Le cinéma français, s’il n’était engluée dans
ce népotisme sectaire avec « ami de… » et « fils de… « ,
verrait clairement son intérêt à massivement l’appliquer.
Haïm, consciemment ou pas, jette avec « Barracuda » un pavé
dans la mare. Il lui faut être le meilleur. Meilleur que tout
le monde pour exister au-delà du simple baroude d’honneur
voire de l’infâmante curiosité.
Avec « Barracuda », Philippe Haïm indique clairement son état
d’esprit. Pas question de faire joujou avec acteurs, décors
et jolies petites caméras. Le cinéaste a suffisamment les
crocs pour frapper fort, quitte à chambouler les conventions.
Absence d’accroche, Flash forwards, Flash-backs, apartés et
visions mystiques des protagonistes, Haïm n’est pas là pour
plaisanter. « Barracuda » se moque des interdits qui
s’imposent au long-métrage et brave le conformisme ambiant
(parent illégitime du neuneuisme à l’américaine). « Barracuda
» ne sera pas un film de studio. Tant pis pour eux, tant
mieux pour nous, spectateurs en révolte contre ce formatage
universel. Excellente nouvelle, Haïm est seul maître à bord
du croiseur « Barracuda » qui torpille les règles et cible
l’imprévu. Inutile d’anticiper, dépourvus des ficelles
habituelles, on ne sait jamais d’où nous vient la gifle. Tout
ça parce qu’Haïm s’acharne à modeler les « stars » aux
méandres du scénario et non l’inverse. C’est rare, c’est
jouissif et c’est savoureux ; Dans « Barracuda », tout est
possible parce que le spectateur ne trouve aucun repère.
Un claquement de doigts suffit à Haïm et voilà Jean Rochefort
qui exécute Guillaume Canet. Une fraction de seconde de plus
et Canet prend à son tour la main. Sur l’échiquier de la
survie, la partie à laquelle se livre nos deux protagonistes
est très serrée. Chacun avance ses pions. A une attaque
succède une contre-attaque. Rochefort a les blancs donc
l’avantage… logique puisqu’il est l’agresseur. Puis, c’est
au tour de Canet de prendre l’avantage. A la violence de l’un
répond la fourberie de l’autre. Au déséquilibre de l’un, le
manque de psychologie de l’autre. A la sauvagerie de l’un, la
force et la vigueur de l’autre. Petit-à-petit, on se
découvre, on se révèle, on s’admire, on se transforme. Les
rebondissements sont multiples, les secrets bien gardés et
l’atmosphère malsaine à souhait. Fétichisme, troubles
obsessionnels et schizophrénie paranoïaque participent à
l’hémisphère sombre (à la fois glauque et cynique) du film.
Un hémisphère que complète un autre hémisphère, clair
celui-là (à la fois drôle, tendre et caustique). La réunion
de ces deux hémisphères inspire une multitude de sensations
au spectateur et donne une identité à part entière au
film.
L’unidimensionnalité aurait été trop simple, trop fade. La
pluridimensionnalité, c’est tout le sel et l’originalité de »
Barracuda ». Rochefort trouve à la faveur du film de Philippe
Haïm un rôle qui dépasse sa démesure. Drôle, inquiétant,
touchant et cruel, il nous offre de purs moments de cinéma
surpassant de mille coudées le pourtant excellent
Swimming with Sharks. L’onirisme d’un Rochefort fait
toute la différence ! (cf le poème de Rochefort adressé à
Canet afin qu’il s’enjôle). Ajoutez à la terrifiante poésie
du texte une réalisation coup de poing (atmosphère
claustrophobique et inquiétante symétrie des décors) et vous
obtiendrez un film qui frôle l’excellence. Il ne lui manque
qu’un montage mature et nerveux porté par un scénario qu’on
souhaiterait nettement plus déjanté. Mais rappelons qu’il
s’agit là d’un premier film et que Philippe Haïm y atteint
déjà un niveau que bien peu de réalisateurs contemporains
français atteindront (même en fin de carrière). D’ailleurs, »
Barracuda » fut assez remarqué et prometteur pour que UGC lui
confie la réalisation de sa prochaine mega-production, « La
Vraie Vie des Dalton ».
Avec « Barracuda », Philippe Haïm fait forte impression. Pari
gagné ! Malheureusement la distribution éclaire d’AMLF aura
privé le film d’un succès public. Une démarche totalement
incompréhensible de la part du distributeur. « Barracuda »
possède tous les atouts d’un carton cinéma. Un scénario
soigné, une mise en scène décapante, des acteurs en vogue à
l’interprétation impeccable. Bref… un huis clos
indiscutablement réussi mené de main de maître par un
auteur-compositeur-réalisateur qui s’impose parmi la fine
fleur du cinéma français. « Barracuda », son premier film,
est un poisson à ferrer d’urgence en DVD.
Une affiche ratée, des photos mal agencées, un synopsis bâclé
et une qualité audio / vidéo un poil au-dessus de la moyenne,
l’éditeur s’est surpassé. A croire qu’il a délibérément
saboté la sortie de ce titre dont il est fort à parier qu’il
ignorât jusqu’alors l’existence. Une question, je peux ?
Pourquoi avoir modifié l’affiche originale ? Un poisson dans
un verre d’eau à moitié plein à moitié vide, n’est-ce pas
infiniment plus accrocheur (et infiniment plus sensé par
rapport au film) que la tête démesurément grande de Jean
Rochefort et la silhouette méconnaissable de Guillaume
Canet ?
Bref… la question est qui a osé massacrer « Barracuda » en
vendant cette petite merveille comme un sous-produit de film
d’horreur ? C’est un travail ni fait ni à faire qui culmine
dans l’absurdité côté bonus. Par pitié, évitez à tout prix
cette section, vous risqueriez d’y laisser les derniers
cheveux qui vous restent. Côté suppléments on ne plaisante
plus, on se fout carrément du monde.
Enfin, côté son et image, on a déjà vu mieux, beaucoup mieux,
largement mieux. Absence de fluidité, gestion approximative
des fonds blancs… et chef d’oeuvre, la présence d’un
misérable dolby digital 2.0 pour piste son. Hé oui, de la
stéréo mesdames messieurs. Rappelons l’année de la sortie en
salles : 1997. Rappelons également le nombre de pistes
audio : 1. Ce sont peut-être les menus animés qui ont pris de
la place à moins que ce ne soit la musique qui les
accompagne. Pour nous résumer, le film vaut largement
l’achat du DVD… l’édition vaut largement un zéro
pointé.
Ils auraient dû l’intituler « section amuse tes amis », cela
aurait mieux convenu à ce minuscule assemblage de pitreries
grotesques titré suppléments. La Filmo, la Galerie Photo, la
bande-annonce et roulez jeunesse. De toute façon, si
l’éditeur s’attend à vendre un millier de DVD du film, c’est
beaucoup. Autant ne pas se fouler et se concentrer sur la
sortie des Les 11 Commandements.
Mettre en valeur « Barracuda » coûterait de l’argent, autant
économiser. Exit les interviews, making of, décompositions
scéniques (par exemple la scène de danse), visites des
décors, effets spéciaux, analyses du scénario, comparaisons
storyboards / scènes filmées… Chez Pathé, on fait dans le »
sans bonus ajouté » pour que l’édition reste mince.
Concernant « Barracuda », l’éditeur a fait fort, on frise
l’anorexie…
Filmographies
3 filmographies nous sont généreusement offertes. La première
et la plus fournie : celle de Jean Rochefort. La seconde et
la plus éclectique : celle de Guillaume Canet. La troisième
et la plus prometteuse : celle de Claire Keim. Que dire de
plus ? Ah oui, j’oubliais, vous n’avez rien d’autres à faire
qu’à attendre que la filmographie se déroule. Une petite
musique vous aidera néanmoins à patienter. Je crois
qu’inutile est le terme.
La Galerie de Photo (1’15)
Ambiance feutrée pour galerie tournante façon manège. Bouh !
Que cela fait peur ! Au total, une dizaine de photos et une
seule photo de production montrant le réalisateur et ses
techniciens au travail. De l’Art de combler le vide avec du
vent… autant en emporte l’éditeur !
Bande-annonce (1’27)
C’est le seul bonus valable de cette édition. Livrée dans une
qualité honorable, cette bande-annonce vous donne un avant
goût, musique au poing, de l’atmosphère à la fois drôle,
sombre et tendre de « Barracuda ». Plus on avance, plus le
rythme s’accélère pour stopper aux confins de la folie. Une
bande-annonce qui donne sérieusement envie. Nul doute que si
le film avait eu toutes ses chances au cinéma, il y aurait
fait un malheur pour le bonheur des spectateurs.
Comment a-t-on pu laisser une image aussi faiblarde
accompagner la sortie de ce DVD ? La lumière semble avoir été
respectée, les contrastes, un tantinet blafards, ne
déshonorent pas l’éditeur. En revanche, la gestion des blancs
laisse franchement à désirer. La scène dans la salle de bain
le montre de manière flagrante. La présence de stries marque
l’absence de fluidité et fustige une compression limite
passable. Même punition dans la chambre rouge. « Barracuda »
souffre du même mal que la toute première édition de « Léon »,
à ceci près qu’avec les moyens actuels, il est inadmissible
d’être aussi léger question compression.
La seconde partie de la séquestration a mieux été traitée que
la première. Les différentes atmosphères ont été soignées. La
Chambre de Rochefort, la salle de séjour, la cuisine font
preuve de plus de précision. Malgré le grain présent, le
transfert vidéo de ces lieux et de l’action qui s’y déroule
rend hommage à la richesse et à la complexité visuelle de la
composition.
La lumière crue utilisée en surabondance par Philippe Haïm
contraste avec les couloirs sombres et les pièces feutrées
dans lesquelles Jean Rochefort attire Guillaume Canet. Il
n’était pas évident de restituer cette opposition
significative. L’éditeur s’en sort sur ce point. Preuve
qu’avec un minimum de sérieux et de bonne volonté, il aurait
été aisé de ficeler une édition exemplaire.
Ni DTS, ni Dolby Digital 5.1 (qui pour mémoire est le format
sonore officiel du DVD), ni même un Dolby Prologic… mais
bien un Dolby digital 2.0. Ouf ! On a évité le mono voire le
muet… vous savez avec de petits cartons pour nous résumer ce
que les acteurs se disent. Dès l’introduction de la galette
dans le DVD, on sent bien que la musique n’a pas assez
d’amplitude, que les basses ne sont pas assez présentes (ce
qui est légèrement dommage pour un huis clos angoissant) et
que la stéréo peine à nous impliquer dans le film.
Heureusement que le mixage est de qualité avec des voix bien
claires et une pureté sonore. Mais le film méritait un Dolby
surround au bas mot. De la stéréo ??? C’est un peu comme
affubler une mustang d’un moteur de 2 CV. Pire que du mauvais
goût, c’est un pur mépris à la fois envers le film et le
support. C’est se moquer du monde. C’est prendre les artistes
pour des boeufs et les dévédéphiles pour des vaches à lait.
Vite une édition spéciale pour réparer cette incommensurable
bévue !
J’attends avec impatience (derrière mon bocal) vos
réactions sur ce film… à toutes et tous, excellente
projection DVD