Réalisé par Michael Cimino (I)
Avec
Kris Kristofferson, Christopher Walken et John Hurt
Édité par Carlotta Films
Diplômés de Harvard en 1870, Billy Irvine et James Averill, ce dernier maintenant homme de loi, se retrouvent, une vingtaine d’années plus tard à Casper, une petite ville du Johnson County, dans le Wyoming, devenue le théâtre d’une violente opposition entre des éleveurs de bétail et des immigrants européens qui veulent acheter de la terre et s’y établir. Les éleveurs, regroupés dans la Wyoming Stock Growers Association, engagent une cinquantaine d’hommes de main pour éliminer les 125 immigrants recensés sur une liste…
La Porte du paradis nous est enfin proposé dans l’état qu’il méritait, pas dans celui, misérable, de l’édition sur DVD en 4/3 de 2001, redistribuée en 2006 par MGM et réduite à 144 minutes.
Ce film maudit est l’oeuvre ambitieuse de Michael Cimino, réalisateur et auteur du scénario. Auréolé par le succès critique et commercial de Voyage au bout de l’enfer (The Deer Hunter), il a bénéficié d’un important budget (45 millions de dollars) qui lui a permis de rassembler une belle distribution : Kris Kristofferson, Christopher Walken, John Hurt, Jeff Bridges, Sam Waterston, Brad Dourif et, dans des rôles secondaires, Joseph Cotten, Mickey Rourke et Willem Dafoe. Il a également réussi à imposer dans un des premiers rôles Isabelle Huppert qu’il avait remarquée dans La Dentellière, libre depuis la fin du tournage de Loulou.
Le choix de la « Guerre du Johnson County », page sombre du rêve américain qui fait voler en éclat le mythe de la terre promise (laissant les émigrés à La Porte du Paradis), explique en partie le « grandiose échec » du film, certainement dû aussi à sa longueur (3h38), qui contraint Michael Cimino à se résoudre à opérer une sévère mutilation.
La tragédie est observée par un improbable trio amoureux, James Averill, l’homme de loi, Nathan Champion, le tueur à gage à la solde des éleveurs et Ella Watson, une Française tenancière de bordel qui, à l’occasion, vend ses charmes, payables cash… ou en bétail ! Aucun des personnages ne correspond à un stéréotype. James Averill n’exhorte que mollement les éleveurs à plus de retenue ; Ella aime d’un amour non vénal James et Nathan, sans pouvoir se décider à préférer l’un à l’autre ; Nathan, le tueur froid, finit par être révolté par les agissements des éleveurs. Remarquable interprétation de Kris Kristofferson, ici dans son meilleur rôle, et surtout de Christopher Walken et Isabelle Huppert dont le naturel n’est pas affecté par les dialogues en anglais.
D’impressionnants moyens, dont des centaines de figurants, ont été investis dans la reconstitution de l’époque, magnifiquement filmée dans les paysages du Montana par l’un des plus grands chefs opérateurs, Vilmos Zsigmond.
La Porte du paradis est une suite de magnifiques tableaux, une fresque tragique, un tourbillon violent, une des plus brillantes des oeuvres d’un réalisateur trop rare.
L’éditeur Carlotta Films s’est surpassé en nous proposant ce film maudit en version restaurée, en double Blu-ray ou dans remarquable coffret.
Une édition rare en tirage limité à 3.000 exemplaires numérotés.
En ouvrant le coffret habillé de velours rouge Hermès, on découvre trois digipacks. Film et bonus sont dans les deux premiers, en deux formats, sur deux DVD et deux Blu-ray. Le troisième contient le CD de la bande originale. Chaque digipack est illustré de photos en pleine page et, sur la couverture, d’une sorte de filigrane reprenant le motif imprimé en argent sur le coffret.
Le film est présenté après la restauration 2K réalisée par Criterion sous la supervision de Michael Cimino et du directeur de la photographie Vilmos Zsigmond. Il n’est livré qu’en version originale, avec des sous-titres français optionnels ; cantonnés sur la bande noire, ils n’empiètent pas sur l’image pour la version DVD ; curieusement, ils sont placés sur l’image pour la version Blu-ray, mais tout en bas et dans une taille raisonnable. Le film est réparti sur les deux DVD, mais logé sur un seul Blu-ray.
On peut regretter l’absence de doublage français, mais aussi la pardonner en ce qu’elle aurait encore alourdi le coût d’une restitution inespérée de l’oeuvre. Elle aurait, de surcroît, été compliquée par le nombre de langues parlées : le russe, l’ukrainien, l’allemand, pour ne citer que celles-là.
Puis, placés sous ces trois digipacks, on peut sortir La Bible du tournage, facsimile du script de 132 pages annotées par Michael Cimino, un portfolio de 20 pages, recueillant une sélection de photos prises pendant le tournage par Susan Geston Bridges, l’épouse de Jeff Bridges et Michael Cimino’s Heaven’s Gate, la reproduction du livret de 20 pages distribué lors de la première du film. En plus, est inclus un livret de 54 pages intitulé La Porte du paradis, À propos du film, en trois parties. La première, Illusions perdues et retrouvées, est un remarquable article du critique et historien Jean-Baptiste Thoret (notamment auteur de Michael Cimino, les voix perdues de l’Amérique - Flammarion, 2013). Cela vaut largement une lecture attentive, même si l’on n’est pas obligé d’adhérer à certains anathèmes lancés sur le cinéma américain. Suit Sur le tournage de La Porte du paradis, un article de Herb Lightman paru dans la revue American Cinematographer de novembre 1980 et un entretien avec le réalisateur recueilli dans ce même numéro.
Sortent simultanément deux Éditions doubles, l’une sur DVD, l’autre sur Blu-ray, avec tous les bonus vidéo de l’Édition Prestige et un livret de 36 pages..
On retrouve sur les deux supports, DVD et Blu-ray, les mêmes bonus vidéo, tous en anglais, sauf l’entretien avec Isabelle Huppert.
Dans la version Blu-ray, le disque 1 contient deux bandes annonces, une de 1980, l’autre de 2013 et une introduction d’une minute et demie par Michael Cimino.
Les autres suppléments sont tous sur le disque 2 :
Dans Retour au paradis (50’), le réalisateur (il ne se livre pas souvent à ce genre d’exercice), répond aux questions de Michael Henry Wilson. Il parle du film et, plus généralement, du cinéma, avec quelques diatribes sur la place exagérée donnée maintenant aux réalisateurs qui n’étaient qu’un nom au générique au bon vieux temps des Howard Hawks et John Ford. Il insiste, en revanche, sur l’importance primordiale des acteurs et la préséance des personnages sur les idées. Il ouvre aussi certaines pages de l’histoire des USA, particulièrement celles des luttes qui l’ont marquée.
C’est alors au tour des acteurs d’être mis à contribution dans des entretiens d’une durée variable. D’abord Kris Kristofferson (9’), puis Isabelle Huppert (24’), Jeff Bridges (18’) et enfin David Mansfield (9’), le compositeur et arrangeur de la musique originale. Ces entretiens sont repris de l’édition Criterion, sauf celui avec Isabelle Huppert, ajouté en 2013 par Carlotta Films. Illustrés par des extraits du film, ces suppléments apportent d’intéressantes anecdotes sur le tournage, ses difficultés, sur le soin tout particulier consacré par le réalisateur à la préparation des séquences, etc.
Court module d’un peu plus de 2’ sur la restauration où on a tout juste le temps de nous dire que les couleurs ont été retrouvées grâce aux « matrices de séparation des couleurs » issues du négatif original. On aurait bien aimé en savoir un peu plus !
Format HD (AVC) pour l’image de tous les suppléments.
Débarrassée de toute tache (à l’exception de rarissimes rayures), l’image de La porte du paradis est somptueuse, dans une délicate palette de couleurs aux tonalités chaudes, parfaitement étalonnées. Elle respecte la texture argentique originelle, au prix de quelques fourmillements à peine perceptibles dans quelques scènes d’intérieur. L’encodage AVC 1080p se joue des pièges tendus par la poussière et la fumée. La profondeur de champ et la précision des détails est spectaculaire, par exemple dans la scène du bal dans la cour de l’université (sans doute un hommage à Busby Berkeley) et dans les nombreuses vues des paysages de plaine et de montagne.
Le son DTS-HD Master Audio 5.1 est concentré sur les voies avant, les latérales n’étant que discrètement sollicitées par l’accompagnement musical. Incisif, il restitue clairement les dialogues et procure une bonne immersion dans l’ambiance favorisée par une bonne séparation des deux canaux de la stéréo.
On aurait pu rêver à plus d’effets tirés des six pistes magnétiques originales de la pellicule 70mm, mais on sait gré aux responsables de la restauration d’avoir évité toute manipulation artificielle.
Crédits images : © MGM Studios