Réalisé par Richard Fleischer
Avec
Kirk Douglas, Tony Curtis et Ernest Borgnine
Édité par Rimini Editions
Les Vikings (The Vikings) (USA 1958) de Richard Fleischer n’est pas le premier film tourné aux USA sur le sujet : la firme Technicolor avait déjà produite Les Vikings (USA 1928) de Roy William Neill, tourné muet (déjà en couleurs mais moins riches que les couleurs Technicolor de 1958) dans le Rhode Island, pour ne citer que lui et sans remonter trop haut dans l’histoire du cinéma muet. Le Fleischer de 1958 s’en démarque cependant, outre les apports de l’écran très large Technirama et du son, par un budget (c’était une production de la société fondée par l’acteur Kirk Douglas) qui lui permet une supérieure authenticité : les extérieurs furent tournés en Norvège et en Bretagne. Le scénario est adapté d’un roman basé un fait de l’histoire médiévale d’Angleterre mentionnant, vers 865-870 après J.C., un roi anglais effectivement nommé Aella et une guerre entre les Vikings et lui. Sa construction à laquelle Fleischer, comme à son habitude, contribua en profondeur, permet une intrigue authentiquement tragique (au sens grec antique du terme tel qu’il est illustré dans les tragédies d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide) à base de viol, de naissance dissimulée, de reconnaissance et, finalement, de fratricide meurtrier provoqué par la jalousie du destin.
Les actrices Maxine Audley et Janet Leigh jouent respectivement une reine (Enid) et une princesse (Morgane), l’une violée, l’autre presque constamment menacée de viol. La violence graphique est brève, à peine sanglante (comme Fleischer est fier de le souligner lorsqu’il évoque son film) mais très brutale lorsqu’elle se manifeste : certaines séquences relèvent du film de guerre (l’attaque du château), d’autres relèvent, compte tenu du niveau de censure de l’époque, presque du film d’épouvante (la fosse aux loups hurlants, la main tranchée puis cautérisée à la torche).
Les meilleurs séquences sont celles, shakespeariennes, qui mettent en scène la froide cruauté du roi Aella interprété par l’acteur Frank Thring dont c’est peut-être le plus beau rôle, encore supérieur au Ponce Pilate et au Hérode qu’il interprète vers la même époque pour les cinéastes William Wyler (Ben-Hur, USA 1959) et Nicholas Ray (Le Roi des rois, USA 1961). Elles ont un caractère dramaturgique comme plastique qu’on pourrait aussi nommer « para-hammerien » en raison de leur démesure violente assez proche de ce que Terence Fisher pouvait alors réaliser outre-Atlantique pour la Hammer Films. La reconstitution historique des moeurs et des coutumes des Vikings a valeur historique revendiquée par le cinéaste. L’attaque du château, la crémation nocturne du cadavre d’un des demi-frères sont assurément spectaculaires. Il ne faudrait pas négliger pour autant les brèves mais remarquables illustrations du « tremendum » et du « fascinans » qui constituent, selon Rudolph Otto, les éléments permanents du sacré dans les religions et les mythologies primitives. La prêtresse d’Odin et ses runes prophétiques, le saut heureux et halluciné de Ragnar dans une fosse aux loups hurlants sont des moments fantastiques qui retranscrivent parfaitement la mentalité primitive encore vivante dans ce neuvième siècle du Nord celtique de l’Europe.
A noter, enfin, le splendide prologue et le non moins splendide générique de fin, reproduisant les anciennes tapisseries médiévales et, dans le cas du prologue, les animant ! Hommage discret probable de Richard Fleischer à son père, le cinéaste animateur Max Fleischer.
Sur le plan de l’histoire du cinéma mondial, il faut savoir que Cinecitta, séduite par le succès public et la beauté plastique de ce Fleischer de 1958, produisit plusieurs séries B reprenant le thème : Le Dernier des Vikings (L’Ultimo dei Vikinghi) (Ital. 1961) de Giacomo Gentilomo, La Ruée des Vikings (Gli Invasori) (Ital.-Fr. 1961) de Mario Bava, Les Vikings attaquent (I Normanni) (Ital. 1962) de Giuseppe Vari, Duel au couteau (I Coltelli del vendicatore) (Ital. 1966) de Mario Bava. Il faudrait rééditer chez nous un jour les deux meilleurs titres, ceux signés par Mario Bava, dans des conditions cinéphiliques enfin correctes et dignes de ce nom (VF d’époque + VISTF, galerie photos affiches et photos d’exploitation, dossier de presse italien d’époque, etc.).
1 digibook combo Blu-ray + DVD + livret 164 pages illustrées, édité le 04 décembre 2018 par Rimini. Format originall 2.35 Technirama en Technicolor, son DTS HD mono 2.0. VF d’époque + VOSTF, durée Blu-ray du film : 116 min environ, durée DVD du film : 111 min. environ. NB : les souvenirs 1996 de Richard Fleischer sont exclusifs au Blu-ray et donc absents du DVD.
La première partie du livret résume la biographie et les films de Fleischer et leur réception critique (concernant certains titres seulement… pas tous). Certaines fiches films sont correctes et intéressantes en dépit de leur brièveté (d’abord à cause des citations de Fleischer bien sûr, parfois reprises d’entretiens accordés à des revues françaises, provenant aussi de l’ancienne monographie de Stéphane Bourgoin sur Fleischer, parfois enfin traduites de sources américaines plus récentes), d’autres sont clairement insuffisantes (Don Angelo est mort est expédié en cinq lignes alors que c’est un film remarquable, Kinji Fukasaku n’est pas crédité comme co-réalisateur de Tora! Tora! Tora!… etc). La seconde partie consacrée à la production, au tournage et à la réception critique des Vikings, est beaucoup plus précise et bien plus intéressante du fait de cette précision. Même les Norvégiens ayant assisté ou participé comme figurants au tournage, témoignent avec précision ! Bien sûr, elle fait parfois double-emploi avec les souvenirs vidéo de Fleischer mais elle apporte néanmoins régulièrement des informations supplémentaires. En somme, je pense que le livret aurait pu se limiter à cette seconde partie pour le cinéphile. Bon point : l’ensemble est très bien illustré concernant les affiches (bien sélectionnées) et les photos de plateau et de tournage mais aucun jeu complet de photos d’exploitation américaine (lobby cards) ou française non détourée n’est reproduit. La bibliographie finale de Fleischer est uniquement celle ayant servi à l’établissement du livret : elle est sommaire car il y manque bien évidemment des dizaines d’articles parus sur Fleischer et ses films de 1955 à nos jours dans les revues papier et, depuis 2000 environ, sur internet.
Les suppléments purement vidéo sont constitués de deux éléments majeurs : les souvenirs du cinéaste Richard Fleischer filmé à Los Angeles en 1996 (durée environ 30 min.) puis en 2002 (durée environ 30 min. aussi). Ces derniers datent probablement d’une édition DVD NTSC de cette époque et ils furent repris, en raison de leur grande richesse d’informations, sur le Blu-ray américain Kino Lorber édité en 2016. Très nombreux extraits visibles du film, montés en rapport avec les souvenirs de Fleischer : on saura tout sur la genèse et la production (deux ans de travail), sur la caméra tri-bande Technirama d’un poids d’environ une tonne, etc. : l’ensemble est, comme toujours avec Fleischer, passionnant.
S’y ajoutent 3 éléments mineurs mais néanmoins sympathiques dont les deux premiers sont exclusifs à cette édition française. D’abord les souvenirs des fils de Fleischer sur le tournage, illustrés par divers petits films 8 et 16mm à l’image souvent médiocre mais aussi par quelques beaux plans aériens beaucoup mieux définis puisque filmés numériques en 2018 au-dessus du Fort la Latte (près de Dinan et du Mont saint Michel) où fut tournée la dernière partie. Ensuite un petit entretien filmé vers 1959 en N&B (durée environ 6 min.) avec le producteur et acteur Kirk Douglas : sans grand intérêt concernant le film de Fleischer. Enfin une bande annonce originale au format correct, dotée d’un grain supérieur mais d’une colorimétrie inférieure à celle du master ici présenté du long-métrage de référence.
L’ensemble est riche en documents de première main : très nombreuses photos de tournage (N&B et couleurs), assez nombreuses photos de plateau (couleurs et N&B).
Deux regrets cependant : aucune galerie affiches et photos d’exploitations (même pas les lobby cards US) non détourées d’une part, aucune recension, même brève, du thème historique des Vikings dans l’histoire du cinéma mondial d’autre part.
Format Technirama 2.35 respecté en Technicolor. Copie argentique en bon état, d’un niveau équivalent à celle du Blu-ray édité en 2016 par Kino Lorber aux USA. Cela dit, elle n’est pas parfaite : on y discerne à l’occasion des poussières négatives et positives (dès le prologue montrant une animation de tapisseries médiévales) sur une vingtaine de plans environ, ce qui est d’ailleurs peu rapporté à l’ensemble. En revanche, excellente numérisation : la colorimétrie des intérieurs du château anglais d’Aella, celle des extérieurs naturels norvégiens et bretons sont admirables, rendant hommage à la direction photo de Jack Cardiff. C’est pour l’instant la meilleure édition française Blu-ray disponible, équivalente à celle outre-Atlantique éditée par Kino Lorber en 2016. Elles sont évidemment supérieures à l’ancienne édition DVD MGM de 2003, ce qui est logique puisque la haute définition permet de jouir d’une manière plus proche de la réalité d’une image argentique qui était filmée (par une caméra d’un poids d’environ une tonne) en Technirama, procédé combinait les avantages du VistaVision et du CinemaScope.
DTS HD Mono d’origine 2.0 VOSTF et VF d’époque : offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone. La voix française de Janet Leigh est celle, si sexy, qui doublait à la même époque Marilyn Monroe. Elle lui convient mais sa voix originale vaut aussi d’être écoutée, car un peu plus grave et encore plus belle. Tony Curtis lui aussi parle (beaucoup) plus grave que son doubleur français. Kirk Douglas est en revanche admirablement doublé par sa voix française habituelle qui lui convient comme un gant. Piste américaine mieux restaurée que la piste française et en meilleur état natif, comme souvent. La musique de Mario Nascimbene, très belle, grésille parfois un peu sur la piste française lorsqu’elle est à pleine puissance symphonique, moins sur la piste américaine. STF bien lisibles mais pas envahissants.
Crédits images : © Rimini Éditions