Les Nibelungen (Siegfried + La Vengeance de Kriemhild) (1924) : le test complet du Blu-ray

Die Nibelungen: Siegfried + Kriemhilds Rache

Version Restaurée

Réalisé par Fritz Lang
Avec Gertrud Arnold, Margarete Schön et Hanna Ralph

Édité par Potemkine Films

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Le 05/11/2024
Critique

Première édition française en haute définition d’un des chefs-d’oeuvre de Fritz Lang, rajeuni pour son centenaire par une belle restauration.

Les Nibelungen (Siegfried + La Vengeance de Kriemhild)

Les Nibelungen : La Mort de Siegfried : Siegfried, fils unique de Siegmund, roi de Xanten, entame un périlleux voyage pour demander à Gunther, roi des Burgondes, la main de sa soeur Kriemhild. Il devra, en échange, convaincre Brünhild, la reine vierge d’Islande, d’épouser Gunther.

Les Nibelungen : La Vengeance de Kriemhild : La princesse Kriemhild, consciente que ses frères protègent Hagen, l’assassin de Siegfried, épouse Etzel, le roi des Huns, qu’elle implore de l’aider à accomplir sa vengeance…

Les Nibelungen : La Mort de Siegfried et Les Nibelungen : La Vengeance de Kriemhild (Die Nibelungen: Siegfried et Die Nibelungen: Kriemhilds Rache), sortis en 1924, furent réalisés, à partir de 1922, par Fritz Lang. Il est alors, avec F.W. Murnau, le réalisateur le plus en vue en Allemagne après le succès de Les Trois Lumières (Der müde Tod, 1921) et de Dr. Mabuse, le joueur (Dr. Mabuse, der Spieler, 1922). La UFA lui alloue les moyens de répondre aux superproductions que Hollywood a commencé à produire dès 1915 et 1916, Naissance d’une nation (The Birth of a Nation) et Intolérance de D.W. Griffith.

Le scénario, en deux parties de sept chants, coécrit avec Thea von Harbou que Fritz Lang avait épousée en 1922, puise son sujet dans La Chanson des Nibelungen (Nibelungenlied). Écrite au début du XIIIe siècle, cette épopée sera perçue au XIXe comme emblématique de l’âme de la nation allemande. Elle inspirera à Richard Wagner l’oeuvre monumentale à laquelle il consacra vingt-cinq années de sa vie, L’Anneau du Nibelung (Der Ring des Nibelungen), une suite de quatre opéras montés de 1869 à 1876, L’Or du Rhin (Das Rheingold), La Walkyrie (Die Walküre), Siegfried et Le Crépuscule des dieux (Götterdämmerung).

Les Nibelungen (Siegfried + La Vengeance de Kriemhild)

Les Nibelungen reste, un siècle après sa création, une oeuvre étonnante. Pour la fluidité de la mise en scène obtenue en dépit des contraintes techniques d’alors, pour l’inventivité des effets visuels, avec un énorme dragon mu par plusieurs hommes cachés dans son corps, pour la beauté des costumes et des décors aux lignes épurées et aux dessins géométriques rappelant l’art déco naissant, et des éclairages. La forêt, dont les arbres font penser aux piliers d’une cathédrale, et la grotte où Alberich cache le trésor des Nibelungen sont autant d’images ineffaçables après un seul visionnage.

Fritz Lang put s’appuyer, pour les prises faites par deux, voire trois caméras, sur l’expertise et le talent de trois chefs-opérateurs, Carl Hoffmann (Dr. Mabuse, Faust de F.W. Murnau), Günther Rittau et Walter Ruttmann, qu’il réemploiera tous les deux, trois ans plus tard, pour Metropolis. Et, pour la direction artistique et les décors, sur Karl Vollbrecht (Metropolis, M) et Otto Hunte (Metropolis, L’Ange bleu).

La distribution de Les Nibelungen rassemble des stars du cinéma allemand d’alors. Paul Richter, dans le rôle de Siegfried, qu’on avait vu dans Mabuse, Margarete Schön, dans celui de Kriemhild, un des plus grands des quelques 80 rôles qu’elle tint de 1918 à 1960, Hanna Ralph dans celui de l’inquiétante Brünhild… Etzel, le roi des Huns, est incarné par l’ex-époux de Thea von Harbou, Rudolf Klein-Rogge, qui venait d’endosser les multiples identités du redoutable Dr. Mabuse.

Un autre atout du film est la partition originale, dans laquelle on sent l’influence d’Arnold Schönberg et de Erich Wolfgang Korngold. Elle fut, à la demande de Fritz Lang, composée par Gottfried Huppertz avant le tournage, ce qui a permis d’assurer une remarquable symbiose entre image et musique.

Potemkine Films et MK2, associés pour cette nouvelle édition, nous proposent les deux volets du film après une seconde restauration, entreprise à partir de 2010 par la Murnau Stiftung et Arte. Faite en grande partie à partir des négatifs et de copies de générations diverses pour les éléments manquants, elle est supérieure à celle de 1986, réalisée à partir de copies, que MK2 avait utilisée pour son édition DVD de 2008.

Les Nibelungen (Siegfried + La Vengeance de Kriemhild)

Présentation - 2,0 / 5

Les Nibelungen : La Mort de Siegfried (149 minutes) et La Vengeance de Kriemhild (130 minutes) et leurs généreux suppléments (182 minutes) tiennent sur deux Blu-ray BD-50 logés dans un Digipack.

L’accompagnement musical des films est proposé avec le choix entre deux formats audio, DTS-HD Master Audio 5.1 ou 2.0 stéréo.

Une édition DVD est disponible, avec seulement une partie des bonus (52 minutes).

Bonus - 5,0 / 5

Sur le disque La Mort de Siegfried :

Malheur au peuple qui a besoin de héros (2007, 21’), documentaire de Bernard Eisenschitz, historien et spécialiste de Fritz Lang. Après les souvenirs gardés par une vieille femme « des images qu’on n’oublie pas » des Nibelungen qu’elle avait vu enfant, Bernard Eisenschitz rappelle les temps difficiles de l’Allemagne en 1923 : le putsch manqué du général Ludendorff et d’Adolf Hitler, l’inflation galopante, l’essor de la production cinématographique. Après le succès en 1922 de Dr. Mabuse, der Spieler, Fritz Lang opte pour un grand conte médiéval, un des premiers textes littéraires en langue allemande. Quatre univers forment le cadre du récit : la forêt des Nibelungen, le château entouré de flammes de la reine d’Islande Brünhild, l’architecture stricte de Worms, la citadelle des rois burgondes, et le « monde sauvage » des Huns. L’immense décor de la forêt avait impressionné un visiteur anglais, un certain Alfred Hitchcock. Le film, en faisant renaître les héros d’une Allemagne vaincue, sera acclamé par les nationalistes. Le lendemain d’une louange du film par Goebbels au printemps 1933, Fritz Lang disparaît de la vie publique, avant de quitter l’Allemagne en juillet. Et, parce qu’il montre que la lutte des puissants conduit à la catastrophe, le film ne sera plus projeté pendant la parenthèse nazie, à l’exception de la première partie, dans une version remaniée avec de nouveaux sous-titres.

Analyse de séquences par Louise Dumas, critique de cinéma (2024, 60’). Après une introduction aux deux parties du film, replacé dans son contexte historique, Louise Dumas, avec une analyse de la mise en scène et des personnages, commente quatre séquences : la rencontre de Siegfried avec les Nibelungen, la découverte de Worms, la citadelle aux lignes géométriques des Burgondes et de la caverne des Nibelungen, la soumission imposée par la force à Brünhild, et, enfin, l’arrivée de Kriemhild à la cour du roi des Huns.

Sur le disque La Vengeance de Kriemhild :

Les Nibelungen, échos de leur temps (2024, 31’), une analyse des références historiques par William Blanc, historien. Les nationalistes virent dans La Chanson des Nibelungen un moyen d’exalter les valeurs germaniques et de faire renaître des héros, en réponse au Robin des Bois de Douglas Fairbanks (Robin Hood, Allan Dwan, 1922). Eisenstein s’inspirera, pour Alexandre Nevski, de Les Nibelungen que William Blanc met en parallèle avec Le Seigneur des anneaux et Game of Thrones

L’Héritage des Nibelungen (Das Erbe der Nibelungen, 2011, 69’, allemand sous-titré), documentaire de Guido Altendorf et Anke Wilkening. Le dernier jour du tournage, le décor du château d’Etzel est délibérément incendié, pour plus de réalisme… et pour un « coup de com’ » de la UFA. Fritz Lang entend surpasser l’opéra par la magie des effets spéciaux du cinéma, notamment avec le dragon. Les conditions de tournage éprouvantes ont été attestées par Hans Adalbert Schlettow, l’interprète de Hagen. Le film est distribué, après quelques adaptations, en 1924 au Royaume Uni, en avril 1925 aux USA, puis par les nazis en 1933. Il faudra attendre soixante ans une reconstruction du montage original à partir des négatifs et copies, avec la partition de Gottfried Huppertz. La deuxième restauration sera opérée à partir de 17 matériaux nitrate d’origine, retrouvés dans plusieurs pays, analysés par la Murnau Stiftung. Les partitions de cinq des sept chants de la partie II, introuvables, ont été créées par Marco Jovic « dans l’esprit de Huppertz ».

Les Nibelungen (Siegfried + La Vengeance de Kriemhild)

Image - 4,0 / 5

L’image, au ratio originel de 1.33:1, encodée au standard 1080p, AVC, est d’une qualité variable, certainement dépendante de l’état de conservation des sources utilisées. La restauration a opéré un miracle en reconstituant, avec une qualité surprenante, un film qui fête cette année son centenaire. Une bonne résolution a été obtenue sans altération du grain du 35 mm. Les marques de dégradation de la pellicule, encore présentes occasionnellement, ont été effacées de presque tous les plans. Le réétalonnage assure la fermeté des contrastes. Le défaut majeur reste le vacillement de la luminosité dans d’assez nombreuses séquences.

Les Nibelungen (Siegfried + La Vengeance de Kriemhild)

Son - 4,5 / 5

Le son, encodé au standard DTS-HD Master Audio 5.1 (et une alternative 2.0 stéréo), est suffisamment aéré, avec une répartition du signal donnant une présence enveloppante à la partition originale.

Crédits images : © Murnau Foundation

Configuration de test
  • Vidéo projecteur SONY VPL-VW790ES
  • Sony UBP-X800M2
  • Denon AVR-4520
  • Kit enceintes/caisson Focal Profile 918, CC908, SR908 et Chorus V (configuration 7.1)
  • Diagonale image 275 cm