Réalisé par Roger Corman
Avec
Ray Milland, Hazel Court et Richard Ney
Édité par Sidonis Calysta
USA, dix-neuvième siècle : le riche docteur Guy Carrel croit devoir repousser l’amour d’Emily car il craint d’être - tout comme son père le fut - enterré vivant en état de catalepsie. Emily parvient cependant à calmer son obsession et leur mariage est célébré, mais contre l’avis de la soeur de Guy. Ce dernier ne retrouve pas la paix de l’esprit pour autant. Il construit en secret un caveau doté de moyens techniques sophistiqués afin de pouvoir échapper à l’horreur d’un enterrement prématuré. Il est possible que quelqu’un d’autre ait intérêt à ce qu’il n’y échappe pas.
Sorti à Paris le 22 octobre 1968 avec 6 ans de retard,L’Enterré vivant (Premature Burial , USA 1962) de Roger Corman, est la troisième adaptation d’Edgar Poe par Corman, ici à partir du conteL’ensevelissement prématuré / l’inhumation prématurée (1844). Conte peu connu en France ; il fut, certes, traduit chez nous mais ses traductions furent vite épuisées car il ne faisait pas partie de ceux traduits par Charles Baudelaire (ces derniers, en revanche, constamment réédités). Alors que l’histoire de Poe est narrée à la première personne et suit une ligne générale assez directe, le scénario de Charles Beaumont, Ray Russel et Roger Corman est raconté objectivement (sauf le remarquable cauchemar de Guy oscillant entre vision subjective et objective). Ils ajoutent à celle de Poe une intrigue annexe reposant sur le personnage joué par la belle Hazel Court : ce film fantastique comporte ainsi une dimension policière qui n’est révélée qu’in-extremis. Ce fut, en France, un relatif succès critique. On apprécia la noirceur de son intrigue et la beauté plastique de sa mise en scène.
Tourné entre La Chambre des tortures (Pit and the Pendulum, USA 1961) et L’Empire de la terreur (Tales of Terror, USA 1962), L’Enterré vivant est le seul film de la série Edgar Poe qui ne soit pas interprété en vedette par Vincent Price. Afin de se prémunir contre le désir d’indépendance de Corman producteur, ses distributeurs James H. Nicholson et Samuel Z. Arkoff avaient négocié un contrat d’exclusivité avec Price pour le compte de leur société AIP. Corman le remplaça donc par le grand acteur Ray Milland mais cette modification ne lui servit à rien carL’Enterré vivant fut finalement distribué par AIP. La cohérence esthétique de la série Edgar Poe en fut renforcée car ce titre restituait avec une ostentation graphique obsédante, les catégories poétiques majeures de l’oeuvre de Poe, et cela tout autant que les autres titres déjà sortis par AIP. L’arrivée d’Hazel Court au milieu du brouillard et des arbres noirs torturés qui entourent la maison de Carrel, le plan de coupe du château filmé en contre-plongée qui traverse toute la série, le lustre et l’escalier déjà vus dans la maison Usher, la démonstration technique du caveau puis le cauchemar de Guy qui voit mis en échec ses moyens enfantins de protection, l’acculant à la mort redoutée et espérée à la fois : autant d’idées plastiques qui s’inscrivaient dans l’univers du poète de Richmond. Chez Poe on meurt toujours trop tôt et on inhume toujours trop prématurément : de Marie Bonaparte à Hélène Cixous, on a souvent étudié cet aspect névrotique de son oeuvre, qu’il s’agisse de l’oeuvre en prose ou bien de l’oeuvre en vers. La phobie de l’enterrement prématuré est une constante dont témoigne bien la série Poe de Corman. Souvenons-nous que la publicité des affiches américaines de La Chute de la Maison Usher, le film qui ouvrait la série en 1960, reposait plastiquement sur l’horreur d’une femme enterrée vivante. La parodie de la série Poe-Corman par le brillant (mais demeuré inédit au cinéma chez nous : ce n’est qu’en vidéo qu’on l’a tardivement découvert) The Comedy of Terrors (Quand le croque-mort s’en mêle) (USA 1963) de Jacques Tourneur (*) au scénario écrit par Richard Matheson, reposait elle aussi sur des variations de la même phobie : Basil Rathbone est-il vraiment mort, Vincent Price et Peter Lorre ont-ils vraiment causé sa mort ou n’est-ce qu’une apparence ?
On a beaucoup glosé sur l’aspect artificiel (d’ailleurs pas toujours, et cela dès 1960, contrairement à ce qu’on a longtemps écrit en France) des extérieurs dans la série Edgar Poe de Corman. Matériellement destinée à cacher l’absence de moyens, avouait Corman, mais pas uniquement. Il s’agit en effet d’une nature ostensiblement baroque, onirique, presque artificielle par essence (à la manière dudomaine d’Arnheim décrit par Poe dès 1842, version définitive en 1847, traduite par Baudelaire en 1864) mais dont la terrible présence symbolique est, pour cette raison même, renforcée. Le scénario introduisait en outre un second point de vue sur l’histoire initiale de Poe : lorsque Hazel Court met pied à terre et traverse le jardin pendant le générique d’ouverture, le regard qu’elle pose sur cette fantastique exubérance est lui-même double mais nous n’en connaissons au départ qu’un seul aspect. Nous nous identifions à Hazel Court durant la quasi-totalité du film et cette identification devient un élément fondamental du suspens, de la peur : Corman et ses scénaristes ont dans l’ensemble très bien compris les ressorts de la littérature fantastique de Poe. Ils maintiennent un effet de cliquet permettant au suspense de rebondir : Hazel Court n’est pas celle que l’on croyait. Elle aussi était passible d’une double qualification ! Jacques Cabau écrivait (**) que la poésie de Poe était celle d’une dualité recherchant l’impossible unité. L’Enterré vivant témoigne assez bien, en dépit de quelques facilités secondaires, de la pertinence d’une telle analyse.
NB. : une seule idée reprise par Corman à l’histoire du cinéma : celle du pseudo-mort qui vit son enterrement à travers la fenêtre du cercueil, provenant en ligne directe du Vampyr (Des Traum des Allan Gray / L’Étrange aventure de David Gray , All. 1932) de Carl Theodor Dreyer, photographié par Rudolph Maté, dont le scénario s’inspirait de la nouvelle fantastique de Sheridan Le Fanu, In a Glass Darkly. Corman n’est pas le seul à l’avoir reprise dans l’histoire du cinéma : qu’on songe aux films fantastiques respectivement signés par Riccardo Freda (1962), Alberto de Martino (1963), Aldo Lado (1971) !
NOTES
(*) Titre original américain faisant bien sûr référence à la pièce anglaise de théâtre de William Shakespeare, The Comedy of Errors (La comédie des erreurs) (écrite vers 1590-1595).
(**) Jacques Cabau,Edgar Poe par lui-même , éditions du Seuil, collection « Microcosme », section « Ecrivains de toujours », Paris 1960, tirage 1968 avec bibliographie révisée.
1 Blu-ray BD-50 région B, édité par Sidonis Calysta le 07 mai 2024. Durée film 81’. Images couleurs Full HD 1080p AVC au format original 2.35 respecté et compatible 16/9. Son DTS-HD Master Audio 2.0 mono VOSTF + VF d’époque. Suppléments : Présentation par Olivier Père + Hommage à Roger Corman par Joe Dante et Bertrand Tavernier + Entretien avec Roger Corman + Bande-annonce. Belle illustration de jaquette qui reprend le visuel de certaines affiches originales américaines.
Présentation par Olivier Père (2022, 19’27”) : elle comporte la plupart des informations nécessaires à une bonne situation du titre dans la série, à commencer par le rappel de la fameuse tentative de Corman de s’allier avec Pathé, tentative déjouée par AIP. Excellente comparaison de Price et Milland. Quelques informations sur les scénaristes Charles Beaumont et Ray Russell. Bonne remarque sur l’introduction de quelques éléments discrets de comédie (les deux fossoyeurs) pour la première fois dans la série Poe mais pas la dernière. En revanche, Olivier Père fait curieusement l’impasse sur la belle Hazel Court que Corman réemploiera encore deux fois (en 1963 et 1964) au sein de cette série Poe.
Hommage à Roger Corman par Bertrand Tavernier et Joe Dante (2010, 12’30”) : Dante filmé avec une belle affiche française d’un classique du cinéma fantastique de Jack Arnold à l’arrière plan, et Tavernier filmé en alternance avec quelques documents numérisés, parlent de leurs rencontres avec Corman, de sa carrière, de ses films. Il s’agit d’un montage assez raccourci de ce qu’on trouvait plus en détails dans les suppléments des autres DVD Sidonis de la collection Roger Corman éditée il y a 10 ans. Le spécialiste n’apprendra rien mais le novice sera correctement initié.
Entretien avec Roger Corman (2002, 9’15”, VOSTF) : bref mais intéressant car Corman revient sur sa tentative de produire le film sans AIP, avec Pathé comme co-producteur. Elle échoua car AIP était un des plus importants clients du laboratoire Pathé. Le casting de Ray Milland (remarquable dans le rôle) à la place de Vincent Price demeure le signe tangible de cette tentative d’émancipation de Corman car Price était sous contrat avec AIP. Corman évoque aussi certains aspects techniques communs à l’ensemble de la série, se souvient de Floyd Crosby, de Daniel Haller. Il évoque bien entendu ses deux vedettes Hazel Court et Ray Milland.
Bande-annonce originale (2’32”, VO) : hélas recadrée en 1.78, état argentique moyen mais bien conçue et efficace.
Bonne édition spéciale à laquelle il manque cependant une galerie affiches et photos d’exploitation américaine et française.
Full HD 1080p AVC, au format original 2.35 respecté et compatible 16/9, en Scope-couleurs. Quelques poussières négatives et positives, une ou deux saletés sur la séquence du cauchemar mais la continuité argentique du restant est globalement bien nettoyée. Admirable photographie de Floyd Crosby qui exploita le format Panavision d’une manière inédite.
DTS-HD Master Audio 2.0 Mono VOSTF + VF d’époque : offre complète, nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone. Les VOSTF sont techniquement plus satisfaisantes que les VF, comme souvent. Elles comportent moins de souffle, disposent d’un relief sonore supérieur. La VF d’époque est bonne - la voix française de Ray Milland est celle qui le doublait déjà si bien dans la VF d’époque deL’Horrible cas du Dr. X (The Man With the X-Ray Eyes, USA 1963) de Roger Corman- en dépit d’un léger chuintement technique qui porte uniquement sur sa voix, pas sur celle des autres acteurs ! Belle musique symphonique signée Ronald Stein.
Crédits images : © American International Pictures, Santa Clara Productions