Réalisé par Riccardo Freda
Avec
Micheline Presle, Gino Cervi et Fausto Tozzi
Édité par Gaumont
Italie en 1598-1599 : Francisco Cenci quitte Rome pour s’installer dans le château de Petrella situé dans la région des Abruzzes. Il y vit en maître féodal redouté par ses domestiques mais aussi par sa seconde épouse Lucrèce, par son beau-fils Giacomo, par sa fille Béatrice qu’il convoite mais qui lui résiste obstinément. Cette dernière tombe amoureuse de l’intendant Olympio tandis que Lucrèce, devenue la maîtresse de Giacomo, organise avec lui l’assassinat de son mari. Ils laissent accuser à leur place Béatrice et Olympio. Les amants maudits pourront-ils prouver leur innocence aux juges romains inquisiteurs ?
Le château des amants maudits (Beatrice Cenci, Ital.-Fr. 1956) de Riccardo Freda (1909-1999), sorti sur les écrans italiens en septembre 1956 puis sur les écrans français en avril 1957, demeure l’adaptation cinématographique de référence d’un crime relaté par les chroniqueurs italiens de la Renaissance. Ce fait-divers criminel inspira l’histoire de la littérature : une pièce anglaise de théâtre par le poète Shelley (1819) et une pièce française par Antonin Artaud (1935)) , de longues nouvelles ou de courts romans signés par Stendhal dans ses Chroniques italiennes(1837) et par Alexandre Dumas dans Les crimes célèbres (1839-1841). Au cinéma, plusieurs versions filmées avant et après celle de Freda, notamment celles signées par Alberto Cappellani (1908), Guido Brignone (1941), Lucio Fulci (1969 plastiquement moins belle que celle de Freda). Concernant sa propre version, Freda modifia l’histoire réelle afin de la tirer dans un double sens, celui de la tragédie plutôt que du mélodrame, celui d’une « fresque malsaine » aux arrières-plans psychologiques inquiétants (inceste, sado-masochisme, complots pervers), aux arrières-plans esthétiques parfois discrètement fantastiques : qu’on songe à la poursuite nocturne de Béatrice dans la forêt qui ouvre le film, à certains plans baroques orientant l’intrigue dans une direction cauchemardesque ou onirique. Coproduction oblige, le casting est historiquement intéressant : outre la star féminine Micheline Presle (dans le rôle de Lucrèce), apparaissent deux starlettes du cinéma-bis (Mireille Granelli et Claudine Dupuis) tandis que le jeune acteur Anthony Steffen (au générique sous son véritable nom Antonio de Teffe) côtoie Gino Cervi et Fausto Tozzi. Le directeur photo Gabor Pogany avait débuté en 1941 : il a travaillé, de 1955 à 1990, pour de nombreux cinéastes-bis italiens couvrant la totalité des genres populaires. Mario Bava, à l’époque uniquement directeur de la photographie, signa également quelques trucages optiques sur quelques plans raffinés à l’ampleur calculée.
Freda déclarait (Le Monde du jeudi 1er février 1990, page 22) : « …mon film préféré est Le château des amants maudits, entièrement inspiré, y compris dans une grande nature morte, du Caravage et de la peinture du début du dix-septième siècle. Personne ne s’en est jamais avisé, ce qui m’est tout à fait égal. Sauf Mario Grono, un critique de Turin qui n’avait pas vu le film à sa sortie et qui s’en est repenti dans les colonnes de son journal, quinze jours après. Il est le seul à avoir interprété mon travail non du côté de l’anecdote mais du côté de l’essentiel. Ce qui, encore une fois, ne me chagrine nullement ». Cette remarque justement amère de Freda vaut uniquement pour l’Italie car, en France, les revues Présence du cinéma et Midi-Minuit Fantastique avaient heureusement reconnu dès les années 1960-1965 l’ampleur plastique et thématique de son oeuvre. Qu’on se souvienne aussi des admirables pages que lui avait consacrées Jean-Marie Sabatier en 1973 ! Pages que j’avais personnellement montrées à Freda, une quinzaine d’années plus tard, lors de notre rencontre à l’hôtel Vernet (où il descendait habituellement lors de ses séjours parisiens) alors que la Cinémathèque française du Palais de Chaillot venait de lui rendre hommage en projetant, en sa présence, la VF d’époque de Les Vampires (Ital.-Fr. 1956) tourné la même année.
1 BRD 50, région B, édité par Gaumont collection « Découvertes », le 19 juin 2024. Durée du film : 93 minutes environ. Image en couleurs, Full HD 1920x1080p au format original 2.35 respecté compatible 16/9. Son DTS-HD Master Audio 2.0 mono VF d’époque + VOSTF + version sourds et malentendants en option. Suppléments : présentation par Sylvain Peret et Jean-François Rauger. Illustration de jaquette reprenant en partie une des affiches originales françaises d’époque.
Présentation par Sylvain Peret (durée 3 minutes environ) : brève, historiquement honnête, essentiellement consacrée à la variété filmographique de Freda et à sa situation au sein de l’histoire du cinéma italien, mais dénuée de toutes illustration.
Présentation de Jean-François Rauger (durée 33 minutes environ) : un peu longue mais intéressante. Elle replace Freda dans l’histoire du cinéma italien postérieur à 1945, analyse son rapport au néo-réalisme et au réalisme d’une manière savoureuse, puis examine le film de 1956 sur les plans esthétique, thématique, bio-filmographique (y compris concernant le casting principal). Quelques remarques témoignent évidemment d’une relecture des pages définitives de Sabatier, aussi de celles de Jacques Lourcelles (le second est cité à deux reprises). Un bémol concernant la mention par Rauger du peintre Vittore Carpaccio : c’est plutôt, dixit Freda lui-même, Le Caravage qui a influencé la composition et les couleurs de certains plans. Un second bémol concernant le directeur photo Gabor Pogany et sa contribution, citée par Rauger, au célèbre film d’Aldo Lado de 1974, au sujet de laquelle Rauger s’avance peut-être un peu trop : lire mon entretien avec Aldo Lado (initialement paru en 2007 sur le défunt site internet Dvdrama, actuellement archivé en version revue et corrigée sur le site internet Psychovision.net). Présentation illustrée par des extraits dont certains plans identifient les acteurs principaux, à la différence du générique français d’époque seul disponible sur cette édition. Ils proviennent donc du générique italien alternatif ou d’une bande-annonce italienne.
Honorable édition spéciale mais une lacune regrettable : l’absence d’une galerie affiches et photos d’exploitation.
Image CinemaScope Eastmancolor d’une copie argentique restaurée en 2013, ici proposée en 2K Full HD 1920x1080p au format original 2.35 respecté compatible 16/9. Image argentique parfaitement nettoyée et très bien restaurée : seuls un ou deux plans ont un peu souffert, le reste est impeccable. Report vidéo privilégiant le lissage par rapport au grain mais doté d’une bonne définition, particulièrement appréciable durant les nombreux plans d’ensemble aux assez vastes profondeurs de champ, aussi durant les plans nocturnes à la colorimétrie vive et soignée.
VF + VO ou VOSTF (au choix) en DTS HD Master audio 2.0 mono bien restaurée : bon équilibrage dialogues-musique-effets sonores. Le niveau varie assez considérablement d’une séquence à l’autre sur la VF, à la dynamique cependant meilleure que celle de la VO italienne. La version pour sourds et malentendants est en option : son sous-titrage est graphiquement agréable et intelligemment réparti, de manière à être suivi intuitivement, comme toujours chez Gaumont. Musique parfois empruntée aux symphonies n° 5 et 6 de Piotr Illitch Tchaïkovski (1840-1893)
Crédits images : © 1956 GAUMONT (FRANCE) / ELECTRA COMPAGNIA CINEMATOGRAFICA (ITALIE)