Réalisé par Noboru Tanaka
Avec
Meika Seri, Junko Miyashita et Genshu Hanayagi
Édité par Carlotta Films
Japon, Osaka, quartier pauvre de Nishinari / Kamagasaki, 1973 : la loi prohibant la prostitution a été adoptée il y a vingt ans mais rien n’a changé. C’est le cas pour la mignonne prostituée Tomé qui vit en compagnie de son frère handicapé mental Sanaé et de leur mère Yoné. Cette dernière est également prostituée et se plaint de la concurrence que lui fait sa fille. Tomé est une rebelle indépendante : au fond, cette vie dangereuse lui plaît.
Confidentiel : marché sexuel des filles(Maruhi : shikiho mesu ichiba, Jap. 1974) de Noboru Tanaka aurait été tourné non pas à Kamagasaki mais à Nishinari (selon sa bande-annonce originale), quartier d’Osaka. C’est une imitation en règle du style de certains films érotiques de Koji Wakamatsu qui sont, malheureusement, les mauvais Wakamatsu pseudo-contestataires (par exemple ceux qu’il signait en 1965 et 1969) et non pas les si remarquables Wakamatsu vraiment fantasmatiques et inspirés (par exemple ceux qu’il signait en 1966 et 1967). Caméra à l’épaule presque constamment mouvante, déconstruction distancée de la dramaturgie, opposition récurrente de la nouvelle à l’ancienne génération à travers des plans symboliques (Tomé draguant un prolétariat usé et vieillissant dans les transports en commun ou les passages commerçants), humour noir grinçant (la rivalité entre la mère et la fille, le proxénète tué par l’explosion d’une poupée gonflable), alliage plastique se voulant surprenant de N&B et de couleurs. Tanaka veut se faire remarquer et joue le jeu du genre : il respecte strictement l’impératif numéro 1, à savoir une scène (simulée) de sexe d’environ 5 minutes toutes les 10 minutes.
Ce cocktail insolite entre cinéma expérimental et cinéma de genre a assez mal vieilli mais il demeure historiquement intéressant pour le cinéphile comme pour l’historien du cinéma car c’est une étape que Tanaka a su dépasser : il vaut bien mieux que cet alliage déjà dépassé à la date de son tournage. Il manifeste déjà, en revanche, un aspect qui sera une constante de son cinéma : son goût sûr pour le casting. L’actrice principale Meika Seri - elle joue deux ans plus tard la stupéfiante et maléfique prostituée droguée à l’héroïne qui pervertit le héros dans le Le Cimetière de la morale (Jingi no hakaba, Jap. 1975) de Kinji Fukasaku - demeure étonnante, étrange, insolite.
Pour elle et pour la mignonne Junko Miyashita, il faut bien sûr visionner le film mais pas seulement car Tanaka (ce que ce film de 1974 ne laisse pas totalement présager) mériterait amplement qu’on visionne l’intégralité de sa filmographie (environ 25 films signés : donc encore environ une vingtaine inédits en France !) afin de bien prendre l’exacte mesure des étapes de son évolution. Son oeuvre est certes inégale (la preuve par ce titre-ci) mais il a signé de bons films - Osen la maudite (Maruhi : joro seme jigoku, Jap. 1973) - et au moins deux très bons qu’on peut qualifier d’authentiques chefs-d’oeuvre : La Véritable histoire d’Abe Sada (Jitsuroku Abe Sada, Jap. 1975) et Bondage / Danse extatique de la beauté : bondage ! (Semeru / Hakkinbon bijin ranbu yori : semeru !, Jap. 1977). Ces deux-là sont, sur les plans plastique comme thématique, de bien meilleurs exemples de ce qu’on pourrait nommer son surréalisme concerté, son sens du fantastique, reposant sur une base thématique historique et authentiquement inspirés sur le plan esthétique.
1 Blu-ray BD-50 région B édité par Carlotta le 03 septembre 2024. Durée film 83 minutes environ. Images ? Full HD 1080p AVC au format original 2.39 respecté et compatible 16/9. Son DTS-HD Master Audio 1.0 mono VOSTF. Suppléments Blu-ray : présentation par Stéphane du Mesnildot (2024, durée 21’ 30 ») + bande-annonce d’époque (3’, VOSTF). Illustration française de jaquette malheureusement médiocre (une simple photo provenant d’un plan du film) par comparaison avec la très belle affiche japonaise originale aux dominantes oranges qu’il aurait fallu au moins restituer intégralement au verso afin de donner le choix au cinéphile.
Présentation par Stéphane du Mesnildot (durée 21’30”) : Il défend bien ce film qu’il considère réaliste alors qu’à mon avis, c’est un réalisme stylisé au point qu’il n’est justement plus réaliste sans que le gain de cette stylisation soit par ailleurs avéré autrement que par un formalisme à l’époque déjà très convenu. Mesnildot apporte de précieuses informations biographiques, littéraires, esthétiques, historiques et géographiques sur Osaka et ses quartiers (le quartier Naniwa qui évoquera des souvenirs chez les cinéphiles admirateurs de Mizoguchi). Noboru Tanaka encore étudiant réussit à devenir assistant de Akira Kurosawa (1961), puis de Shoei Imamura et Seijun Suzuki. Devenu réalisateur par concours organisé par la Nikkatsu, il sert le genre du « roman porno » (faux ami puisqu’il s’agit de film érotique mais pas pornographique au sens européen). Mesnildot le qualifie de membre du carré d’as du genre aux côtés de Tatsumi Kumashiro, Chusei Sone et Masaru Konuma : on peut, au moins, discuter concernant Kumashiro dont je juge la réputation française surfaite. Utile information concernant « la littérature de la chair » et l’écrivain Ango Sakaguchi, aussi concernant le personnage de la prostituée dans le cinéma japonais d’après 1945. Intéressantes informations sur les actrices principales, notamment sur Meika Seri. Sur Junko Miyashita, je ne partage pas l’avis de Mesnildot concernant son rôle dans un film de Kumashiro alors que je souscris bien évidemment à l’appréciation positive donnée à son rôle chez Tanaka en 1975 (mais pourquoi ne pas y ajouter le Tanaka de 1977 ?). Bonne comparaison avec le cinéaste Koji Wakamatsu concernant le fait qu’il s’agisse davantage d’un « pinku eiga » que d’un « roman porno » mais ce titre de Tanaka est précisément une imitation des mauvais pinku-eiga pseudo-contestataires de Wakamatsu, pas de ses bons pinku-eiga purement phantasmatiques. Ce film de Tanaka ne peut pas être dit « naturaliste halluciné » car il n’est pas naturaliste (tout y est outré et fictif) ni réellement halluciné ! il est, tout au contraire, d’emblée irréaliste et bien trop consciemment stylisé : on ne croit pas à ce pseudo-bidonville théâtrale ni à ces plans « documentaires » de rues ou de quartiers qui sonnent creux et rapportés. Le naturalisme halluciné, c’est Mizoguchi en 1956, c’est Oshima en 1960 mais ce n’est ni Wakamatsu en règle générale qui est soit fantasmatique d’emblée, soit pseudo-stylisé d’emblée, ni ce Tanaka-ci. Si on veut visionner un Tanaka au réalisme halluciné, alors il faut visionner les deux Tanaka de 1975 et de 1977 qui, eux, le sont régulièrement, d’où leur impact thématique comme esthétique, cette fois-ci absolument sincère.
Bande-annonce originale (durée 3’, format 2.35 respecté, VOSTF) : assez longue comme on les aimait à l’époque et dotée de quelques slogans savoureux japonais.
Honorable édition spéciale à laquelle il manque une galerie affiches et photos japonaises (on peut en contempler une ou deux , si on effectue une arrêt sur image, dans la présentation de Stéphane du Mesnildot mais on reste sur sa faim).
Image N&B majoritairement, dernières séquences en couleurs. Beau transfert numérique Full HD 1080p AVC au format respecté 2.40 compatible 16/9, à partir d’une copie argentique bien restaurée en 2021 et transférée UHD sur master 4K (mais ici limité à environ 2K) avec le concours de la Nikkatsu. Lissage favorisé par rapport au grain.
DTS-HD Master Audio 1.0 mono VOSTF : offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone car le titre n’avait été exploité chez nous au cinéma (avec presque quinze ans de retard par rapport à sa sortie japonaise) qu’en VOSTF dans le circuit « Art et essais ». Aucun défaut technique à signaler : report soigné et bon équilibrage musique-effets sonores-dialogues,
Crédits images : © Nikkatsu