Réalisé par Haruyasu Noguchi
Avec
Tamio Kawachi, Yoko Yamamoto et Koji Wada
Édité par Extralucid Films
Pacifique Sud puis Japon, 1967 : le puissant éditeur d’un magazine populaire affrète un navire et envoie des journalistes à la recherche d’animaux tropicaux, complément nécessaire à son projet immobilier de parc d’attractions, y compris vivantes. Ils découvrent une île dont la montagne volcanique abrite une caverne où se trouve un oeuf géant dont émerge, à la faveur d’une éruption, un étrange reptile : il serait l’enfant de Gappa, créature vénérée par les indigènes primitifs. On le ramène à Tokyo mais ses parents, deux monstres gigantesques rendus furieux par ce rapt, traversent l’océan, attaquent la baie japonaise de Sagami puis s’en prennent à la capitale, détruisant tout sur leur passage, déterminés à récupérer leur enfant prisonnier des hommes.
Gappa, le descendant de Godzilla (Daikyozu Gappa / Gappa the Triphibian monster, Jap. 1967) d’Haruyasu / Hiroshi Noguchi, avec effets spéciaux signés par Akira Watanabe, est l’unique contribution de la société de production Nikkatsu à l’âge d’or (1954-1974) du « Kaiju eiga » (films fantastiques de monstres) japonais. Cet âge d’or correspondant aux films signés par le cinéaste fondateur du genre, à savoir Inoshiro Honda (1911-1993) pour la firme japonaise Toho. Il fut distribué tardivement chez nous en 1973 sous un titre français d’exploitation le reliant historiquement aux films emblématiques de la Toho mis en scène par Honda, Il ne faut pas confondre son titre original japonais avec celui, assez proche, du Itoka le monstre des galaxies (Uchu Daikaiju Girara, Jap. 1967) de Kazui Nihonmatsu qui fut, en cette même même année 1967, l’unique et belle contribution de la société Shochiku à ce même âge d’or.
Il faut bien replacer Gappa, le descendant de Godzilla dans l’histoire de cette catégorie si poétique du cinéma fantastique (catégorie science-fiction) japonais. A partir du succès de Godzilla (Gojira, Jap. 1954) de Inoshiro Honda, la société japonaise Toho produisit de 1955 à 1975 environ 35 films majoritairement signés par Inoshiro Honda mettant en scène Godzilla opposé à des monstres inédits. La concurrente société Daiei produit de 1965 à 1975 (soit durant la moitié de cette période) moins d’une dizaine de Gamera, spectaculaire tortue géante invincible, volante, mangeuse d’électricité et cracheuse de feu, par la suite elle aussi opposée à de redoutables monstres inédits. Godzilla comme Gamera menacent d’abord la race humaine puis deviennent ses protecteurs, face à des monstres impitoyables ou primitifs la menaçant encore plus gravement. La Toei produit moins d’une dizaine de titres de science-fiction de 1958 à 1978 : quelques-uns, mais assez peu tout de même, pouvant relever du Kaiju eiga. La Shochiku et la Nikkatsu, enfin, n’en produisent qu’un, la même année 1967.
Gappa le descendant de Godzilla est, de toute évidence, influencé par le scénario de Gorgo (GB 1961) d’Eugène Lourié. Il reprend aussi certains aspects (physiques, sociologiques, écologiques, thématiques et plastiques) de certains films antérieurs de monstres produits par la Toho japonaise : oeuf mystérieux caché dans les profondeurs de la Terre, peuplade primitive vénérant un monstre (cela remonte directement au King Kong américain de 1933), monstre symbolisant la nature en colère, opposée à une civilisation humaine souvent présentée comme absurde, égoïste et injuste. Les effets spéciaux sont d’autant plus influencés par ceux d’Eiji Tsuburaya que leur responsable fut son assistant. Au total, ce titre de 1967 n’a certes pas l’âpre virulence de certains Kaiju eiga produits antérieurement par la Toho, d’autant moins que l’aspect plastique des monstres « triphibiens »- belle trouvaille sémantique de l’affiche américaine d’époque car ils se déplacent sur terre, dans l’eau et dans l’air - est plutôt sympathique qu’effrayant. Il en constitue néanmoins un représentant structurellement honorable. Le cinéaste Noguchi a servi le cinéma populaire japonais d’après-guerre mais pratiquement pas le cinéma fantastique : ce titre de 1967 est une exception dans sa filmographie dont il constitue pratiquement le dernier titre exploité car Noguchi tombe malade durant son tournage et meurt quelques mois plus tard. Noguchi avait notamment signé en 1965-1966 une trilogie consacrée à une joueuse yakusa interprétée par Yumiko Nogawa, qui semble thématiquement et esthétiquement assez proche de la célèbre série La joueuse à la pivoine écarlate (Lady Yakusa) interprétée par Junko / Sumiko Fuji.
Question finale : après cette édition sérieuse et bien documentée d’un Kaiju eiga mineur mais sympathique, à quand l’édition cinéphile Full HD méthodique et documentée de l’ensemble des grands films fantastiques de Inoshiro Honda, lui-même l’auteur majeur japonais du genre ? En numérique, les cinéphiles français attendent depuis plus de vingt ans en vain : seuls quelques titres furent erratiquement distribués, parfois dans des conditions lamentables (l’ancienne édition DVD zone 2 PAL Studio Canal de Rodan dénuée de sa VF d’époque !) Elle est d’autant plus indispensable que les Kaiju Eiga qu’il a signés entretiennent thématiquement et plastiquement des liens étroits avec ses autres films fantastiques.
YUZO
Yuzo (Tokusatsu Kigeki Ooki Yuuzou: Jinsei saidai no kessen, Jap. 2022) de Yoshikazu Ishii est une parodie comique, à l’humour pesant, se déroulant durant la pandémie de Covid-19. Un monstre profite du chaos humain pour attaquer mais il est combattu par Yuzo, l’unique Japonais demeuré sain d’esprit. L’esthétique est celle d’un « direct-to-vidéo » fait avec un minimum de moyens mais quelques trucages numériques sont soignés. Parmi les séquences critiquant ou parodiant la vie sociale quotidienne et les conséquences sociologiques de la crise sanitaire, signalons la plus amusante : les barmaids du club karaoké, aux masques en plastique transparent, s’exprimant en chansons, transformant leur bar en scène de comédie musicale, afin de réconforter le héros licencié en raison de sa paresse durant le télé-travail ! J’aurais évidemment préféré disposer sur le second disque d’un second classique du Kaiju-eiga plutôt que cette poussive et laborieuse comédie.
2 Blu-ray région B + 1 livret édités par Extralucid Films le 28 août 2024. Gappa, le descendant de Godzilla (Jap. 1967, format image 2.35 compatible 16/9, 83 minutes environ) + Yuzo (Jap. 2022, format image 1.77 compatible 16/9, 88’42”). Son DTS-HD Master Audio 2.0 stereo VOSTF + VF d’époque uniquement pour Gappa. Suppléments : voir rubrique bonus. Ce petit coffret est matériellement très soigné sur le plan physique (reproduction des photos et affiches sur le livret, étui et boîtier bien épais, etc.). Juste un regret concernant le visuel du recto du boîtier et de l’étui, provenant d’une affiche d’un pays de l’Est européen et qui évoque un dessin animé davantage qu’un Kaiju eiga : j’aurais préféré un authentique visuel japonais d’origine (affiche ou photo) ne prêtant pas à équivoque sur la nature du film. Notez, en passant, que Gappa, bien que le boîtier et l’étui n’en montrent que des photos japonaises N&B d’exploitation, est un film en couleurs.
Livret 52 pages de Fabien Mauro avec de très belles photos d’exploitation japonaises N&B et couleurs, d’excellentes reproductions d’affiches internationales et japonaises, des photos de plateau, des pages du plan de travail et / ou du scénario. Très belle sélection. Bien sûr un tel livret ne remplace pas les dizaines de livres japonais d’histoire du Kaiju eiga édités au Japon depuis les années 1970, comportant de colossales iconographies surpassant largement tout ce que les éditeurs occidentaux ont édité sur le sujet, mais il en fournit déjà un sympathique aperçu. Mauro a publié en 2021 un livre sur les Kaiju eiga dont son livret donne aussi un sympathique aperçu : qu’il n’hésite pas à en adresser un exemplaire à DVDfr pour recension ! Résumé correct et informé de la naissance du genre, de la place du titre de 1967 dans son évolution, de sa genèse, de son tournage et de sa réception critique.
GAPPA
Gappa Kaiju Family par Fabien Mauro (2024, durée 38’ environ) : c’est résumé oral des informations plus étendues lisibles dans le livret : naissance du genre Kaiju eiga (films de monstres) au Japon, film fondateur d’Inoshiro Honda en 1954 produit par la Toho, évolution du genre au cinéma et à la TV japonaise, situation du titre de 1967 et sa genèse par la Nikkatsu, son tournage, sa réception commerciale et critique. Une remarque concernant l’appréciation de Gappa par Donald Richie : il méprisait le genre et ne le connaissait pas. D’une manière générale, Richie méprisait et ignorait totalement le cinéma-bis populaire japonais. Les rédacteurs de la revue française Midi-Minuit Fantastique ne le savaient pas alors que l’évidence saute aujourd’hui aux yeux lorsqu’on constate les ahurissantes lacunes de son histoire du cinéma japonais, y compris sa version la plus récente traduite chez nous en 2005.
Entretien avec Masanori Machida (2023, durée 40’ environ, VOSTF) : entretien avec l’acteur qui jouait le rôle du jeune enfant primitif de l’île. Souvenirs de première main concernant des cinéastes tels que Teruo Ishii, des acteurs tels que Ken Takakura, le studio Nikkatsu. Ils sont illustré par des documents intéressants (photos de tournage, photos de plateau).
Scènes des monstres étendues (17’ environ, VO sans STF) : quelques séquences de Gappa provenant de copies argentiques à l’image plus sombre, au format bien strictement respecté, à l’état argentique moins bien restauré mais contenant quelques plans supplémentaires.
Coulisses du tournage (5’ environ, VOSTF) : photographies de plateau et de tournage en extérieurs et surtout dans le studio de la Nikkatsu en 1967 : beaux documents de première main d’histoire du cinéma.
2 bandes-annonces (6’31”, VO sans STF) : la bande-annonce japonaise originale et la bande-annonce américaine avec slogans américains incrustés sur la pellicule, au format respecté 2.35 dans les deux cas. Etat argentique inégal selon les plans (du médiocre à l’assez bon) mais documents de première main d’histoire du cinéma.
YUZO
Yuzo,kaiju viral par Fabien Mauro (13’) : examen de quelques cinéastes japonais appartenant à la génération née aux alentours de 1960, admirateurs du Kaiju eiga durant leur enfance, désireux d’en tourner à leur tour durant les années 1990 à 2000 et qui y réussissent avec les moyens du bord ou bien en intégrant la Toho, pour au moins l’un d’entre eux. J’ai bien sûr pensé, dans la même lignée, au cinéaste TKO Nakano, grand admirateur de Inoshiro Honda dont j’avais autrefois (vers 1995 à l’Etrange Festival) révélé quelques vidéofilms fantastiques qui lui rendaient hommage.
Yuzo par Machida-san (6’) : bref entretien avec l’interprète de l’enfant de 1967 qui a joué dans ce vidéofilm de 2022 : il n’a rien perdu de son dynamisme enthousiaste !
Au total, concernant le titre principal de 1967, excellente édition collector (bien supérieure à l’édition américaine Media Blasters de 2020 qui ne comportait aucun bonus) riche en informations de première main et en beaux documents iconographiques, à laquelle s’ajoute un sérieux livret très bien illustré en documents bien reproduits.
GAPPA
Full HD 1920x1080p, 23.98fps au format original NikkatsuScope 2.35 et Eastmancolor respecté compatible 16/9. Image argentique parfaitement nettoyée et très bien reportés (sauf quelques bordures de plans au télécinéma parfois imprécis durant une fraction de seconde) Report vidéo privilégiant le lissage par rapport au grain mais doté d’une excellente définition, particulièrement appréciable durant les nombreux plans d’ensemble aux assez vastes profondeurs de champ, aussi durant les plans nocturnes à la colorimétrie vive et soignée.
YUZO
Full HD 1920x1080p, 23.98fps au format 1.77 : excellent état numérique, d’autant plus que le film est très récent mais la direction de la photo est assez froide et les couleurs plus froides aussi que celles d’un film argentique des années 1960. Cela dit, plastiquement, cette ambiance convient à l’intrigue.
GAPPA
VOSTF + VF d’époque en DTS HD Master audio 2.0 stéréo bien restaurée : bon équilibrage dialogues-musique-effets sonores. La VF d’époque a souffert (ses variations de niveau sont régulières et sévères) mais elle a été munie de certains plans sous-titrés lorsque la piste française de 1973 s’avérait irrécupérable : travail précis et très soigné. Notez que les chansons originales japonaises de début et de fin sont bien préservées sur ce master japonais alors que les spectateurs américains en avaient été autrefois privées : sur les copies américaines, elles étaient remplacées par une simple orchestration.
YUZO
VOSTF en DTS HD Master audio 2.0 stéréo. Piste son en parfait état, équilibrant bien les dialogues, la musique (lorsqu’il y en a) et les effets sonores.
Crédits images : © Nikkatsu