Réalisé par Claire Devers
Avec
Francis Frappat, Jacques Martial et Joséphine Fresson
Édité par Tamasa Diffusion
Missionné pour la révision des comptes d’une salle de sports, Antoine, un comptable blanc sans histoire, introverti, découvre le plaisir des manipulations de plus en plus énergiques de Dominique, un masseur noir…
Noir et blanc est le premier long métrage de Claire Devers. C’est aussi son film de fin d’études à l’IDHEC (La Fémis depuis 1988). Pour rester dans le cadre du budget alloué à cet exercice, la réalisatrice rebelle a choisi le format long, en 16 mm noir et blanc. Un choix inspiré, récompensé par la Caméra d’or et le Prix Perspective du Cinéma Français à Cannes en 1986 ! Pas d’argent pour la musique : Antoine, membre supposé d’une chorale, nous permettra d’entendre, chanté a capella, le choral de la cantate Schwingt freudich euch empor BWV 36 de Johann Sebastian Bach.
J’ai mal, mais la douleur me rassure. Son souvenir me donne du plaisir
Noir et blanc est une adaptation très libre de Desire and the Black Masseur, une nouvelle de Tennessee Williams publiée en 1948 dans le recueil One Arm and Other Stories. Le film garde sa part de mystère : rien ne nous est dit sur deux personnages n’ayant rien en commun, ni sur ce qui les conduit à des relations sado-masochismes extrêmes. Un choix de la réalisatrice qui souligne, dans l’entretien en bonus, avoir délibérément écarté du montage tout plan pouvant suggérer une explication. La violence, intensément communiquée, reste sous-jacente, reléguée hors-champ par une mise en scène elliptique.
Un des quatre chefs-opérateurs, l’Australien Christopher Doyle, fera une belle carrière. Il sera, notamment, derrière la caméra de In the Mood for Love (Fa yeung nin wah, Wong KarWai, 2000) et de Poesía sin fin (Alejandro Jodorowsky, 2016).
Chimère, le film suivant de Claire Devers, avec son scénario original montrant la désagrégation d’un couple à la suite d’une grossesse, sélectionné pour la Palme d’or en 1989, fut beaucoup moins bien accueilli par la critique et le public. Et les longs métrages suivants, tels Max et Jérémie en 1992 ou Pauvre Georges ! en 2018, furent tièdement appréciés. Les Marins perdus fut cependant distingué en 2003 par une mention spéciale à Locarno.
Noir et blanc offre à Francis Frappat, formé au théâtre, son premier grand rôle au cinéma. On le retrouvera aussi, en 1998, en tête de la distribution du Requiem d’Alain Tanner. Dominique, le masseur, c’est Jacques Martial qui gagnera sa popularité en devenant l’inspecteur Jean-Philippe Bain-Marie dans 98 des 108 épisodes de la série Navarro.
Noir et blanc, encore absent de nos catalogues vidéo, largement inconnu, nous est maintenant proposé après une restauration de l’image, opérée en 2022 par le laboratoire Hiventy et Tamasa Distribution, après scan 4K du négatif original, et du son, à partir des magnétiques 16 mm, sous la supervision de Claire Devers.
Noir et blanc (84 minutes) et ses généreux suppléments (129 minutes) tiennent sur un Blu-ray BD-50 et un DVD-9 logés dans un Digipack à deux volets.
Le film est proposé au format audio standard Dolby Digital 2.0 mono.
Piste d’audiodescription Dolby Digital 2.0.
Sous-titres pour malentendants.
Un livret de 28 pages s’ouvre sur le point de vue de Télérama sur Noir et blanc, « le film dissident de l’IDHEC ». Suivent un entretien de Claire Devers avec Olivier Séguret (Libération) sur la genèse du film et l’image qu’elle a choisi de donner du sado-masochisme, ses propos recueillis par Nathalie Petrowski pour Le Monde sur son approche de la mise en scène et les intentions du film, la lettre à Jacques Poitrenaud, président de la section Perspectives su Cinéma Français, dans laquelle elle dit, de la sélection du film à Cannes : « Je n’avais plus rien à gagner et cependant on m’a tout donné ». Après un court survol de l’oeuvre de la réalisatrice, le livret se referme sur un aperçu de deux des courts métrages, Pas à pas, avec un extrait du storyboard et Carré dégradé, salué par le Prix du jury du festival de Belfort 1984.
Entretien avec Claire Devers (2023, Les Productions du Désordre, 52’). Le film de promotion à l’IDHEC devait être un court métrage en couleurs. Elle n’a pas suivi la règle en optant pour un long métrage en 16 mm noir et blanc, pour avoir le « temps de la narration ». Curieuse de « l’air du temps », elle avait remarqué le développement de salles de sport avec « leurs instruments de torture », ce qui lui a donné le sujet du film, avec l’idée paradoxale que le personnage, « au nom de la santé, allait s’autodétruire », une idée nourrie par la définition du plaisir rappelée par Deleuze dans son introduction à La Vénus à la fourrure de Sacher-Masoch. « La mise en scène c’est savoir où mettre la caméra » plus qu’appliquer la syntaxe enseignée. Pour elle, « l’induction est plus forte que l’explication » : le cinéma ne peut pas tout dire « sans rater l’imaginaire du public ». Elle a voulu éviter « les écueils » de l’homosexualité et du rapport dominant-dominé. La Caméra d’or a légitimé sa différence mais aussi créé des attentes contraignantes. La sélection de Chimère à Cannes a déchaîné des critiques humiliantes, probablement parce qu’il était sorti quelques années trop tôt et parce qu’il avait été réalisé par une femme dans le milieu misogyne qu’est l’univers du cinéma. La restauration a servi le film par un réétalonnage plus proche des visées esthétiques initiales, tout en gardant le grain.
Rencontre avec Jacques Martial et Francis Frappat (2023, Les Productions du Désordre, 28’). Francis Frappat a été repéré par Claire Devers au Théâtre des Amandiers. Il reconnaît avoir été « attiré par la peur du rôle ». Jacques Martial a aimé le scénario qu’il a lu pendant une tournée. Tous les deux avaient apprécié qu’il mette hors-champ le masochisme et l’homosexualité, et gardent un bon souvenir d’un tournage « léger et d’un seul jet », en dépit de quelques moments de tension.
Bande-annonce (2’37”).
Scènes coupées commentées (6’) : la réalisatrice justifie leur exclusion du montage.
Courts métrages de Claire Devers :
Haut-le-coeur (1.33:1, noir et blanc, 11’). Laurie invite chez elle un homme intrigué par le nombre de brosses à dans la salle de bain…
Pas à pas (1983, 1.33:1, noir et blanc, 5’), le film de fin de première année à l’IDHEC. Une fillette a du mal à s’endormir. Elle erre dans un appartement, seule dans la nuit. Avec Maïwenn Le Besco, 7 ans.
Carré dégradé (1985, vidéo, 1.33:1, couleurs, 25’). Un « reportage de Claire Devers », en réalité une fiction, son film de deuxième année à l’IDHEC. Une jeune femme n’est pas satisfaite de la coupe réalisée dans une école de coiffure…
L’image, au ratio d’origine de 1.33:1 (mentionné par erreur 1.66:1 au dos du Digipack) encodée au standard 1080p, AVC, stable, méticuleusement débarrassée des signes de dégradation de la pellicule, affiche des contrastes fermes, entre blancs lumineux et noirs denses. La restauration a préservé le grain assez prononcé du 16 mm.
Le son mono d’origine, réencodé au format standard Dolby Digital 2.0, très propre, sans souffle, bénéficie d’une bonne dynamique assurant la clarté des dialogues et le réalisme de l’ambiance, à laquelle la réalisatrice attache une attention particulière.
Crédits images : © Les Films du Volcan