Réalisé par Jerzy Kawalerowicz
Avec
Lucyna Winnicka, Mieczyslaw Voit et Anna Ciepielewska
Édité par Tamasa Diffusion
Pologne, XVIIème siècle. Le père jésuite Suryn est envoyé comme exorciste dans un couvent dont les soeurs seraient possédées par divers démons. Plusieurs exorcistes s’y sont succédé sans résultats. Garniec, le curé et confesseur de la communauté, accusé de sorcellerie, est mort sur le bûcher peu de temps auparavant. À son arrivée, Mère Jeanne des Anges, la supérieure du couvent, provoque le religieux.
Mère Jeanne des Anges (Matka Joanna od Aniołów), le septième film de Jerzy Kawalerowicz, salué à Cannes par le Prix du jury en 1961, l’année où la Palme d’or fut attribuée à Luis Buñuel pour Viridiana, est une adaptation, coécrite par le réalisateur et Tadeusz Konwicki, de la nouvelle de Jaroslaw Iwaszkiewicz, publiée en 1946, inspirée de l’affaire des possédées de Loudun.
Une affaire qui inspirera, dix ans plus tard, à Ken Russel un des films les plus controversés de l’histoire du cinéma, Les Diables (The Devils), l’adaptation baroque, pleine de bruit et de fureur, d’un récit d’Aldous Huxley paru en 1952, avec Vanessa Redgrave et Oliver Reed. Absent de nos catalogues, il a été édité en 2012 sur DVD au Royaume Uni par BFI.
Mère Jeanne des Anges résulte d’un choix opposé fait par Jerzy Kawalerowicz, celui de se saisir de l’affaire des possédées de Loudun pour, avec une mise en scène épurée, dans des décors dépouillés, en faire une parabole intimiste sur l’ambiguïté de la lutte entre le bien et le mal.
Ken Russell fera d’Urbain Grandier un personnage principal de son film alors que Jerzy Kawalerowicz, pour purifier son récit, situe Mère Jeanne des Anges après son exécution, seulement rappelée par le bûcher encore visible au milieu de l’étrange terrain vague séparant les deux lieux du film, l’auberge et le couvent.
Mère Jeanne des Anges reflète, outre le talent de Jerzy Kawalerowicz, la qualité de l’équipe sur laquelle il s’est appuyé. Pour la photographie, sur Jerzy Wójcik, un des grands chefs-opérateurs polonais (Cendres et diamant / Popiół i diament, Andrzej Wajda, 1958), récompensé en 1999 par la Caméra d’or pour l’ensemble de son oeuvre. Pour les décors et les costumes, sur Roman Mann (Un homme sur la voie / Czlowiek na torze, Andrzej Munk, 1957), mort avant la sortie de Mère Jeanne des Anges. Pour le montage, sur Wieslawa Otocka qu’il avait déjà employée pout Train de nuit (Pociag, 1959).
Le rôle-titre est tenu par Lucyna Winnicka. Saluée par une Mention spéciale à la Mostra de Venise en 1959 pour sa contribution à Train de nuit, elle sortait du tournage du film d’Aleksander Ford Les Chevaliers teutoniques (Krzyzacy, 1960), tout comme Mieczyslaw Voit, habité par le personnage du père Jozef Suryn. Figure familière de la télévision polonaise, on l’a vu aussi sur les grands écrans, notamment en 1973 dans La Clepsydre (Sanatorium pod klepsydra), un des chefs-d’oeuvre de Wojciech J. Has. Il faut également souligner la remarquable incarnation de la soeur Malgorzata par Anna Ciepielewska qu’on reverra, deux ans plus tard, en tête de distribution de l’inoubliable La Passagère (Pasazerka, Andrzej Munk, 1963).
La seule édition française de Mère Jeanne des Anges remontait à 2007, un DVD sorti par Malavida Films, sans bonus, depuis longtemps hors catalogue. Cette réédition par Tamasa Diffusion est donc la bienvenue, d’autant plus qu’elle nous propose le film pour la première fois en haute définition, après une restauration opérée en 2011, avec des compléments d’une exceptionnelle qualité.
Mère Jeanne des Anges (110 minutes) et ses généreux suppléments (83 minutes) tiennent sur un Blu-ray BD-50 et un DVD-9, logés dans un Digipack à deux volets.
Le film est proposé dans sa langue originale, le polonais, avec sous-titres optionnels, au format audio Dolby Digital 2.0 mono.
Dans la couverture du Digipack, un livret de 16 pages propose le regard d’Estelle Bayon (Critikat) sur un film « qui reste, encore aujourd’hui, un ensorcelant pamphlet », un rappel par Christophe Buchet (DVD Classik) de l’affaire des possédées de Loudun qui troubla la quiétude du couvent des Ursulines de 1632 à 1637 et de l’approche choisie par Jaroslaw Iwaszkiewicz. Le livret se referme sur une courte biofilmographie de Jerzy Kawalerowicz et sur une succincte fiche technique et artistique du film.
L’impétuosité du désir, par Mathieu Lericq (2024, Les Productions du Désordre, 41’). Enseignant, critique, spécialiste du cinéma polonais, Mathieu Lericq rappelle que Jerzy Kawalerowicz fit partie, avec Andrzej Wajda et Andrzej Munk, de l’École polonaise du film, un courant qui s’est manifesté de la fin des années 50 au début des années 60. Il fut révélé en 1959 par Train de nuit (Pociag), annonçant un thème récurrent de son cinéma, « l’isolement (…) la solitude ». Il aura, après Mère Jeanne des anges, mal reçu par le pouvoir communiste, beaucoup de mal à réaliser des films pendant une vingtaine d’années. Jaroslaw Iwaszkiewicz avait donné une « dimension baroque » à sa relation de l’affaire des possédées de Loudun, tranchant avec la « simplicité » de l’approche de Kawalerowicz, centrée sur trois personnages, chacun « intégré à un territoire ». Mère Jeanne des Anges apparaît comme un personnage « dissocié (…) entre des forces contradictoires (…) entre Dieu et le Diable, entre la raison et l’irrationnel ». Suit, présentée avec clarté, une analyse approfondie et subtile d’un film « pouvant faire l’objet d’interprétations multiples », de la symbolique des images et du son, d’une dimension politique qui lui vaudra la censure du pouvoir soviétique.
Un modèle de complément d’un film !
Une grille de lecture théologique, par Noémie Monico (41’), souligne dans le film un « regard marqué chrétiennement sur le fait historique », appuyé par des psaumes, notamment le psaume 129, De profundis qui pourrait être le sous-titre du film, et le psaume 50, Miserere mei, Deus, par la lutte contre le mal par la pénitence et par la prière, avec des plans rapprochés qui font penser au La Passion de Jeanne d’Arc de Dreyer. Le film oppose deux types de personnages, « des figures simples et des figures complexes, torturées », met en avant la primauté de l’écoute, de l’appel à la conscience et à la volonté dans le choix entre le bien et le mal.
Un autre regard sur le film, complémentaire du premier.
Bande-annonce (1’28”).
L’image, au ratio d’origine de 1.33:1, encodée au standard 1080p, AVC, a été débarrassée, par une restauration opérée en Pologne en 2011, de toute marque de dégradation de la pellicule. Lumineuse, fermement contrastée, avec des noirs denses, elle met en valeur la beauté de la photographie et de ses clairs-obscurs. La résolution est poussée, mais au prix d’une altération de la texture du 35 mm par un lissage excessif du grain.
Le son mono d’origine, encodé au format standard Dolby Digital 2.0, alors qu’on attend un format non compressé sur un Blu-ray, assure cependant une restitution claire des dialogues et des chants, ainsi qu’une présence réaliste de l’ambiance. Un souffle, d’un niveau moyen, effacé de nombreuses séquences dialoguées, reste récurrent.
Crédits images : © Zespól Filmowy « Kadr »