Réalisé par Jirí Trnka
Édité par Artus Films
S’inspirant de la Chronique tchèque de Cosmas de Prague (XIIème siècle), Les Vieilles légendes tchèques narrent les origines mythiques du peuple tchèque avec six contes traditionnels…
Les Vieilles légendes tchèques (Staré pověsti české) adapte six extraits de Chronica Bohemorum (Chronique des Bohémiens), l’histoire de la Bohème écrite par Cosmas de Prague entre 1119 et 1125. Le film, le quatrième long métrage de Jiří Trnka, remporta le Lion d’argent du public à la Mostra de Venise de 1953. Le talent du cinéaste sera salué par d’autres distinctions, notamment par deux prix à Cannes, l’un, au premier festival, en 1946, pour Les Petits animaux et les brigands (Zvírátka a petrovstí) et l’autre, en 1959, pour Songe d’une nuit d’été (Sen noci svatojánské), son dernier long métrage.
Les Vieilles légendes tchèques, pour la première fois disponible en vidéo en France, nous est proposé par Artus Films dans une édition restaurée en 2015 à Budapest par le Magyar Filmlabor, à partir du négatif nitrate et de positifs pour quelques scènes manquantes.
Approchez et écoutez les récits des temps anciens !
Le scénario, écrit par Jiří Trnka (comme celui de ses autres films), s’ouvre sur les funérailles du duc Cech avant un retour en arrière sur la longue marche qu’il entreprit pour conduire son peuple des rives de la Vistule en direction de l’occident, vers la terre promise, le havre de paix où « coulent des ruisseaux de lait et de miel ». On nous raconte ensuite comment le valeureux Bijov ramène la sérénité dans la contrée en tuant un dangereux sanglier, puis comment Přemysl, le laboureur, pour ramener la paix, épouse Libuše, une des filles du duc, rejetée par une partie du peuple, puis la révolte de la garde féminine de Libuše, la rébellion d’Horymir contre le souverain Křesomysl, contaminé par la fièvre de l’or, et, enfin, la guerre menée par le chevalier Čestmír contre les Lucanes.
Une fascinante beauté
Impossible de ne pas être fasciné par la beauté des marionnettes et des décors dessinés par Jiří Trnka (on voit la sûreté de son trait de crayon dans le documentaire en bonus), par la richesse des cadres peuplés de nombreux personnages et animaux, par la fluidité de l’animation (à partir de photographies prises image par image, à raison de 24 prises pour chaque seconde de film, soit près de 121 000 pour l’entier métrage) et, aussi, par l’inventivité de la mise en scène, des angles de prises de vue, par le rythme donné par l’alternance de plans larges et de gros plans et par des mouvements de caméra inspirés.
Les Vieilles légendes tchèques frappe aussi par sa virtuosité, notamment dans les scènes où de nombreux personnages dansent en parfait synchronisme avec l’accompagnement musical ou encore dans les scènes de combat.
Cette magnifique édition donnera à certains le plaisir de revoir le cinéma de Jiří Trnka et offrira aux autres une belle opportunité de le découvrir.
Les Vieilles légendes tchèques (84 minutes) et ses suppléments (25 minutes) tiennent sur un Blu-ray BD-50 et sur un DVD-9 logés dans les couvertures d’un mediabook.
Le menu fixe et musical propose le choix entre version originale, avec sous-titres optionnels (qui auraient pu être placés un peu plus bas sur l’image) et un doublage en français, les deux au format non compressé LPCM 2.0 mono.
À l’intérieur du mediabook, un livret de 96 pages intitulé Clés pour Trnka, par Pascal Vimenet, enseignant d’esthétique, documentariste, auteur de monographies sur les créateurs d’animation et d’Un abécédaire de la fantasmagorie, dont le cinquième volume doit être publié par L’Harmattan en 2019. Le dossier résume la vie de Trnka, « le géant moustachu », né en 1912, son apprentissage de l’art des marionnettes auprès de Josef Skupa, la création en 1946 de son propre studio de marionnettes pour la réalisation de tous ses films. La dernière partie du dossier, consacrée à son quatrième long métrage Les Vieilles légendes tchèques, en rappelle les sources filmiques, la scénarisation, la création des corps et des visages, l’accompagnement musical. Passionnant !
Les marionnettes de Trnka (23’, Loutky Jiřího Trnky, film de Bruno Šefranka, 1955, 1.37:1, 1080i, AVC, LPCM 2.0). La marionnette du cowboy du Chant de la prairie repose, immobile sur une étagère, auprès des autres marionnettes faites de bois et de chiffons auxquelles la magie de Jiří Trnka avait insufflé la vie. On le voit, dans son atelier en compagnie de nombreux collaborateurs, peindre des arbres sur une plaque de verre qui deviendra le fond d’un décor de forêt, puis animer les marionnettes devant la caméra, un infime mouvement entre chaque prise, en suivant les indications du storyboard. Des artisans fabriquent les marionnettes aux articulations mécaniques, les costumes et les accessoires. Puis vient l’apprentissage par les animateurs des mouvements de chaque marionnette. On voit son professeur Josef Skupa, marionnettiste tchèque (1892-1957), créateur de Spejbl et Hurvínek et Václav Trojan, compositeur d’une musique rappelant les traditions populaires et les aquarelles de Mikoláš Aleš. Jiří Trnka illustra des livres de contes, puis créa des dessins animés. On assiste à la préparation et au tournage de son film Le Brave soldat Svejk (Dobrý voják Švejk, 1955, disponible en Allemagne), une adaptation du roman de Jaroslav Hašek paru en 1923 qui inspirera, vingt ans plus tard, à Bertold Brecht l’écriture de sa pièce.
Diaporama d’affiches et de photos (2’).
L’image (1.37:1, 1080p, AVC) a été soigneusement débarrassée de toutes les marques de détérioration de la pellicule. Lumineuse, agréablement contrastée, avec des noirs denses, elle propose des couleurs ravivées, délicatement saturées dans une palette chaude.
Une légère instabilité, annoncée par un avertissement avant le générique, s’oublie vite, tout comme quelques rares reflets sur les plaques en verre sur lesquelles sont peints les fonds des décors.
Le son non compressé LPCM 2.0 de la version originale et du doublage en français, avec une bonne dynamique et une bande passante satisfaisante, a été, lui aussi, débarrassé des bruits parasites dus à l’altération de la piste sonore. Reste un ronflement, à une fréquence assez basse et constante pour presque se faire oublier.
La qualité des deux versions est à peu près la même. Le doublage en français offre un avantage : celui d’un commentaire (absent de la version originale) par l’acteur Jean Davy, probablement enregistré pour la sortie du film en France en 1959. Un complément utile à ceux, il doit y en avoir plus d’un, ignorant tout de l’histoire ancienne de la Tchécoslovaquie.
Crédits images : © NFA