Réalisé par Arthur Penn
Avec
Marlon Brando, Jack Nicholson et Randy Quaid
Édité par Rimini Editions
Missouri Breaks (The Missouri Breaks, USA 1976) de Arthur Penn est son troisième et dernier western. Il dérive des deux précédents sur le plan thématique (la rébellion contre une société oppressive dans Le Gaucher en 1957) et esthétique (la peinture réaliste et anti-conformiste de l’Ouest dans Little Big Man en 1970 dont certains décors auraient été réutilisés). Il leur ajoute l’attrait d’un casting opposant deux super-stars de l’époque (Brando et Nicholson, remarquables d’un bout à l’autre) flanqués d’excellents acteurs de second rôle (John McLian, John Ryan, Harry Dean Stanton, Frederick Forrest, Randy Quaid, Luana Anders, Kathleen Lloyd), une violence graphique récurrente, un budget permettant une direction artistique soignée, une photo et une musique signées par des techniciens au sommet de leur art (respectivement Michael Butler et John Williams).
L’argument du scénario est un sujet classique de western : qu’on se souvienne du La Loi de la prairie (Tribute to a Bad Man, USA 1956) de Robert Wise sauf qu’en 1976 ce n’est plus l’épouse mais la fille du riche propriétaire terrien qui est horrifiée par sa violence répressive. Penn adapte un script de Thomas McGane qui fut considéré comme lacunaire et fut un peu modifié par Robert Towne, non crédité au générique. Il met l’accent sur la vérité des mentalités (le curieux jugement public présidé par Braxton dans un bar, les dialogues des membres du gang), des cultures (Braxton lit Tristram Shandy et sa fille cite Samuel Johnson), des équipements (les revolvers Colt Single Action Army calibre, le fusil Sharps Creedmore calibre 52 = 13,2mm employé par le régulateur), de la géographie (les ravines dangereuses du fleuve Missouri, le courant puissant du fleuve qui emporta certains chevaux durant le tournage, les montagnes canadiennes, les souples peupliers auxquels on pend les voleurs afin qu’ils souffrent plus longtemps avant de mourir). Le personnage féminin joué par Kathleen Lloyd apporte à l’intrigue une touche shakespearienne sinon cornélienne : elle provoque sciemment la chute de son père, conférant à l’histoire un aspect tragique.
Cet ensemble était, on le voit, calibré pour toucher deux publics : le public intellectuel qui admirait Penn depuis sa révision du mythe de Billy the Kid en 1957 et le grand public avide d’un western vigoureux doté d’une violence aux normes de la période 1970-1975. Ses véritables point fort demeurent aujourd’hui la performance de Brando qui invente un personnage très inquiétant et la mise en scène sophistiquée de Penn qui tire parfois brièvement l’esthétique du film vers le fantastique en raison de la cruauté cauchemardesque de certains meurtres.
1 Blu-ray Full HD (durée du film : 128 min. environ) édité le 23 mai 2019 par Rimini éditions. Image 1.85 couleurs, compatible 16/9, son Dual Mono DTS-HD Master Audio VOSTF et VF d’époque. Bonus : entretien avec le cinéaste Arthur Penn (1981), entretien avec Hélène Valmary (uniquement visible dans le Blu-ray) sur l’acteur Marlon Brando, entretien avec le critique Frédéric Mercier (2019), film-annonce. Surétui et jaquette reprenant la belle illustration visible sur le film-annonce de 1976. Seul le Blu-ray a été testé.
Entretien avec Arthur Penn (1981, VOSTF, durée 55 min. environ) : ce dialogue public enregistré à Londres avec le cinéaste en 1981 est passionnant d’un bout à l’autre bien que ce soit surtout vers la fin qu’on y parle de son western de 1976. On y apprend de sa bouche toute l’histoire de sa carrière théâtrale, télévisuelle (intéressante section sur le plan technique) puis cinématographique : notamment ses bonnes relations avec Jack Warner (producteur de Le Gaucher en 1957) et ses mauvaises relations avec Sam Spiegel (producteur de La Poursuite impitoyable en 1966 aussi avec Brando en vedette). Sur Missouri Breaks, Penn fournit des informations sur la manière dont Marlon Brando inventa (presque en temps réel, concernant une séquence) la dramaturgie de son personnage de régulateur et sur le niveau de réalisme qu’il estimait avoir atteint.
Entretien avec Frédéric Mercier (2019, durée 30 min. environ) : remise du titre de 1976 en situation dans l’oeuvre de Penn et le cinéma américain des années 1970 puis analyse souvent dense, inspirée. Tout à fait d’accord concernant l’admirable séquence d’ouverture, d’une brutalité et d’une sophistication qui n’ont pas vieilli. Attention à la sur-interprétation occasionnelle : Penn a disposé d’un budget qui a été partiellement avalé par le salaire colossal des deux stars masculines (entre 1 million et 1,5 millions de US$ chacun). Donc ce n’est pas, à mon avis, par souci esthétique particulier que la « foule » assistant à la pendaison est filmée en plans de coupe de demi-ensemble assez rapprochés et segmentés, c’est parce qu’il n’y avait pas beaucoup de figurants, faute d’argent restant pour les payer. Soit dit en passant, Roger Corman avait déjà fait à peu près la même chose dans une séquence de son Bloody Mama (USA 1970) où le gang Barker vole le public d’une kermesse ou d’une fête religieuse installée dans une prairie. Les effets de découplage entre son et images que Mercier repère à l’ouverture, datent techniquement de la fin des années 1950. Penn reprend des effets déjà testés par la Nouvelle vague à New York et à Paris quinze ou vingt ans plus tôt. Nouvelle vague qui admira Penn simultanément, d’ailleurs, à ses débuts. Tout à fait d’accord aussi concernant l’oscillation récurrente entre parodie, démystification et drame. La scène du jugement dans le bar (qui a frappé Mercier à juste titre car elle est intéressante) me semble réaliste : elle ne semble surprendre, en tout cas, aucun des personnages (presque tous ceux qui jouent un rôle important dans l’action y sont rassemblés, sauf la fille de Braxton) momentanément unis dans une même mentalité calviniste héritée des pionniers de la Nouvelle Angleterre. Tout à fait d’accord enfin concernant l’aspect dialectique du personnage tel que Brando l’a conçu (sur la base d’indications de Penn). Il faut d’ailleurs insister, à mon avis, sur le fait que Brando et Penn tirent Missouri Breaks dans le sens du fantastique à plus d’une reprise.
Entretien avec Hélène Valmary sur Marlon Brando acteur hors normes (2019, durée 30 min. environ, uniquement visible sur le Blu-ray) : cette enseignante à l’université de Caen aborde dans une première partie la biographie (ici succincte) de Brando, sa technique dramaturgique et son rapport à celle de l’Actor’s Studio (section qui résume bien les enjeux dramaturgiques de son style et leur histoire) puis, vers la vingtième minute, se concentre sur le film de 1976 en rassemblant diverses anecdotes relatives aux improvisations de Brando, au fait qu’il conçut lui-même l’arme terrible qu’il utilise pour tuer Cal, etc. La dualité dramaturgique et ontologique de Brando est ardemment et chaleureusement mais surtout correctement caractérisée.
Film-annonce de 1976 : en état argentique aussi bon que le film de référence, au format original 1.85 respecté, VO sans STF, durée environ 1min.30sec. Son esthétique a inspiré le menu principal et les visuels (surétui et jaquette) de ce Blu-ray. Logo original United Artists visible alors que celui visible avant le générique d’ouverture est modernisé.
Au total, une très bonne édition spéciale (bien supérieure sur le plan des suppléments à l’édition Blu-ray américaine Kino Lorber de 2014 dont le seul bonus était le film-annonce) à laquelle il ne manque qu’une galerie affiches et photos pour obtenir la note maximale dans sa catégorie, intermédiaire entre édition normale et édition collector.
Full HD au format original 1.85 respecté en couleurs, compatible 16/9. Copie argentique bien restaurée mais quelques très rares saletés subsistent (une brûlure blanche sur le plan indiquant au spectateur qu’il regarde les ravines du Missouri, par exemple) : le reste est globalement très bien nettoyé. Bon report vidéo, restituant le travail sur les couleurs ocres, sur les longues focales (splendide générique d’ouverture), sur les contre-jours, du grand directeur photo Michael Butler. C’est la première fois dans l’histoire vidéo (magnétique comme numérique) de ce titre, qu’on arrive à lire clairement et distinctement son copyright écrit si petit au générique d’ouverture.
Dual Mono DTS-HD MA 2.0 VOSTF et VF d’époque : offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone. Musique signée John Williams. La VO est préférable à la VF d’époque car son équilibrage est meilleur. Les voix VF de Brando, McLian et Nicholson ne leur conviennent pas très bien, en outre. Cela dit, les autres voix de la VF sont dramaturgiquement pertinentes et bien sélectionnées. Les effets sonores sont parfois amples et, dans ce cas, très bien restitués : l’assassinat au milieu du fleuve, par exemple.
Crédits images : © Rimini Éditions