Réalisé par Elem Klimov
Avec
Alexei Kravtchenko, Olga Mironova et Luibomiras Laucevitchuis
Édité par Potemkine Films
Un petit village de Biélorussie en 1943. Fliora, 13 ans, déterre un fusil semi-automatique. Il va pouvoir réaliser son rêve, au désespoir de sa mère : rejoindre les partisans qui luttent contre les troupes allemandes…
Requiem pour un massacre (Idi i smotri), le dernier film d’Elem Klimov, ressorti dans nos salles le 24 avril dans une version restaurée par Mosfilm en 2017, est maintenant disponible dans cette édition Blu-ray/DVD, richement complétée, qui détrône le DVD sorti en 2007 par Potemkine Films.
Requiem pour un massacre est l’adaptation du premier ouvrage de l’écrivain biélorusse Ales Adamovitch, Je suis d’un village en feu, un recueil de témoignages de survivants des villages incendiés par les nazis pendant la « Grande guerre patriotique » qu’il a vécue : il avait, à 15 ans, rejoint les partisans avec sa mère. Il a coécrit le scénario avec Elem Klimov.
Requiem pour un massacre, passé assez inaperçu lors de sa sortie à partir de 1985 (en France, en 1987), s’est progressivement fait reconnaître comme un des films sur la guerre qui restent à jamais imprimés dans la mémoire des spectateurs.
Il impose la vision, hallucinante, de la guerre par un enfant, témoin de l’extermination de tous les habitants de son village. Plus que par les images directes, l’horreur indicible du massacre est surtout révélée par les gros plans du visage de Fliora, le regard fixé sur l’objectif de la caméra. Ce qu’il voit est probablement pire que ce qu’on imagine.
Avec des mouvements étonnamment fluides, la caméra suit Fliora et Glacha, l’adolescente qui, comme lui, s’est réfugiée dans la forêt, auprès des partisans. Avant de devenir subjective, d’être le regard de Fliora, de nous donner sa vision des événements.
Requiem pour un massacre est le grand projet qu’Elem Klimov réussit à mener à son terme contre vents et marées. Il rappelle, dans un des bonus qui complètent la présente édition, qu’il avait été inscrit, depuis la sortie de Raspoutine, l’agonie (Agoniya, disponible dans le Coffret Larissa Chepitko - Elem Klimov, édité par Potemkine Films en 2017), sur la liste noire du Goskino (« Cinéma d’état », institué en 1920 pour contrôler la production cinématographique). Il lui faudra une dizaine d’années d’entêtement pour être enfin autorisé à tourner le film grâce au soutien d’Ales Adamovitch. Et le tournage, près de Berezinsky en Biélorussie fut éprouvant pour les acteurs et les équipes, vivant dans des conditions spartiates, loin de tout.
Requiem pour un massacre sera le couronnement d’une carrière de cinéaste trop vite interrompue : Elem Klimov ne réalisera plus aucun film jusqu’à sa mort, en 2003.
Requiem pour un massacre (142’) et ses très généreux suppléments (213’) tiennent dur un Blu-ray BD-50 et sur deux DVD-9, l’un contenant le film, l’autre les bonus. Les trois disques sont logés dans un digipack à trois volets glissé dans un étui.
Le menu animé et musical propose le film dans sa version originale au format audio DTS-HD Master Audio 3.1, avec sous-titres optionnels.
Le film a reçu le Prix de la meilleure restauration à Venise en 2017.
Making of (10’). Aliocha Kravtchenko, 14 ans, s’accompagne à la guitare pour une chanson que lui a inspiré le film. Le réalisateur s’est senti responsable envers les victimes des massacres, a senti leur présence pendant le tournage. On le voit donner des indications de jeu aux acteurs. Ales Adamovitch montre une énorme pierre tombale sous laquelle tout un village a été enterré et le monument à la mémoire des 627 villages où vivaient les 83 000 personnes brûlées vives.
Entretiens avec les membres de l’équipe du film :
Avec le réalisateur (21’). Le premier titre imaginé, « Tuez Hitler », fut rejeté par les autorités. On lui substitua « Idi i smotri », « Viens et vois », cité quatre fois dans l’Apocalypse. Le souvenir très fort de Stalingrad en feu qu’il a dû quitter, alors enfant, en octobre 1942, et la crainte d’une troisième guerre mondiale l’ont poussé à réaliser le film. S’est ajoutée une autre motivation, sa déception vis-à-vis de son film précédent, Raspoutine, l’agonie, qui lui valut aussi d’être inscrit sur la liste noire du Goskino et d’entendre des observations inadmissibles sur le scénario du Requiem pour un massacre, dont la réalisation fut repoussée pendant sept ans. Le tournage dura neuf mois. Aless Adamovitch lisait aux acteurs et figurants Je suis du village en feu. Il craignait qu’Aliocha Kravtchenko, surveillé par un psychologue, soit profondément perturbé par le tournage des scènes les plus dures.
Avec l’acteur principal (14’). C’est en accompagnant un ami aux studios de Mosfilm pour le casting qu’Aliocha Kravtchenko a été remarqué et présenté à Elem Klimov. Traité comme un adulte, il a vite pris conscience de ce qu’on attendait de lui. Il raconte le tournage de deux scènes, dont celle de la traversée du marécage et se souvient de l’accueil qu’on lui fit à la première du film.
Avec le décorateur (8’). L’idée directrice était de se rapprocher du documentaire, avec une image achromatique et une caméra mobile, subjective, la Steadicam, une nouveauté. Le souci de réalisme de Klimov s’est imposé à tout : les séquences de la traversée vers l’île où s’étaient refugiés les villageois ont été tournées dans un vrai marécage, les munitions tirées étaient réelles… Il garde le souvenir d’une implication totale de Klimov, attentif à tous les détails.
Tous les bonus précédents ont été repris du DVD édité en 2007.
Suit un extrait du magazine télévisé de Canal+, diffusé en 2017, Cinéma… par Albert Dupontel (9’). C’est le plus grand film de guerre qu’il ait vu, un film qui a influencé le genre hors des frontières de l’URSS. Une opinion confirmée par Nicolas Boukhrief, l’acteur Bouli Lanners, le réalisateur Balthazar Kormakur et Vladimir Kozlov, qui fut l’un des assistants de Klimov.
Les suppléments suivants sont inédits, produits par Potemkine Films, sous le label La Bête lumineuse, le titre du beau documentaire réalisé par le Québécois Pierre Perrault en 1982, édité sur DVD en 2003.
Entretien avec Vladimir Kozlov, assistant d’Elem Klimov (23’, en français, La Bête lumineuse, 2019). Il a été appelé pour la deuxième partie du film : le tournage, dans un isolement complet, avait pris du retard, ce qui commençait à décourager certains. Il fallait des heures pour régler certains plans-séquences et répondre aux exigences de réalisme de Klimov. Le budget était épuisé au bout de sept mois. L’arrivée de l’hiver n’a pas permis de tourner la fin du film telle que prévue par le scénario.
Suivent deux analyses :
Un témoignage historique : représentation de la guerre (39’, La Bête lumineuse, 2019), un entretien entre Irina Tcherneva, historienne de l’image et Eugénie Zvonkine, enseignante-chercheuse. Klimov disait vouloir s’approcher du documentaire, tout en évitant le « réalisme clinique ». Les documentaristes de l’URSS pendant la seconde guerre mondiale étaient encadrés par l’armée et par le Parti communiste qui s’assuraient du cadrage en gros plans des atrocités commises par l’envahisseur pour provoquer l’émotion du spectateur et stimuler son désir de vengeance. C’est un peu ce que fait Klimov avec Requiem pour un massacre en ajoutant le « ressenti subjectif de l’horreur » par des gros plans sur le visage de Fliora. Le scénario montre, en l’espace de deux ou trois jours, trois moments de la guerre : l’organisation des partisans, la perpétration des massacres par les nazis, le jugement de ceux qui seront capturés, ici un lynchage. La fiction, par l’implication émotionnelle qu’elle engendre, tend à raccourcir la distance qui sépare le spectateur des images d’un film documentaire.
La fin de Requiem pour un massacre (9’, La Bête lumineuse, 2019), un deuxième entretien entre Irina Tcherneva et Eugénie Zvonkine. Le tournage s’est déroulé dans l’ordre chronologique pour faciliter l’implication du jeune acteur dans l’action. La dernière séquence, que l’arrivée de l’hiver a empêché de filmer, devait s’appeler « la dernière bataille sur Terre ». Elle aurait montré soldats allemands et partisans encerclés par le feu dans une forêt, animés par une haine réciproque. Une fin moins humaniste que celle retenue dans le montage final : Fliora tire sur plusieurs images de Hitler, mais pas sur la photo le montrant enfant, sur les genoux de sa mère.
Puis trois entretiens avec des réalisateurs contemporains :
Gaspar Noé (20’, La Bête lumineuse, 2019). Il a été frappé par Requiem pour un massacre qu’il dit avoir vu pour la première fois à Buenos Aires à l’âge de 13 ans (soit neuf ans avant qu’il ne sorte, une petite erreur de mémoire !). Il ne connaît pas les autres films de Klimov, mais a vu L’Ascencion (Voskhozhdenie, disponible dans le Coffret Larissa Chepitko - Elem Klimov, édité par Potemkine Films en 2017), réalisé par son épouse, Larisa Shepitko, en 1977, un grand film de guerre, Ours d’or à Berlin. Il a admiré dans Requiem pour un massacre l’utilisation très maîtrisée du Steadicam et l’intéressant travail sur la couleur et le son.
Bertrand Mandico (16’, La Bête lumineuse, 2019). Le réalisateur de l’étrange Les Garçons sauvages (2017) fut, lui aussi, frappé par le travail sur l’image et le son et par la façon dont le film amène le spectateur, « de cercle en cercle », jusqu’au comble de l’horreur. Il souligne la qualité de la direction des deux jeunes acteurs et de la fluidité des plans-séquences.
Nicolas Boukhrief, cofondateur de Starfix (22’, La Bête lumineuse, 2019). Il a pu voir ce film au Cosmos, rue de Rennes, spécialisé dans le cinéma de l’URSS, dont l’écriture filmique lui rappelle celle de Stanley Kubrick. Sorti en France dans une relative indifférence de la critique, mais pas de Starfix, Requiem pour un massacre ne fut montré dans aucun festival en dehors de l’URSS, bien qu’il ait influencé le cinéma sur la guerre, tel Le Fils de Saul (Saul fia, László Nemes, 2015). « Un film à moitié fou » avec une vision désespérée.
Pour finir, deux bandes d’actualités soviétiques :
Les pertes humaines en Biélorussie (10’). Dans le village de Sossino, incendié par les troupes allemandes en retraite, de nombreux cadavres raidis par le froid, des femmes et enfants survivants en pleurs. « Nous vengerons nos morts, les fascistes paieront pour tout ! », dit le commentateur. Plus loin, la libération du camp d’extermination de Polessié…
L’offensive des partisans en Biélorussie (12’). En 1943, le Parti communiste et l’Armée rouge coordonnent les actions des partisans visant à bloquer les communications des troupes allemandes en dynamitant les voies ferrées. Dans la neige, des partisans prêtent serment « au grand Staline ».
Bande-annonce.
L’image (1.33:1, 1080p, AVC), très propre, offre une palette de couleurs ravivées, soigneusement étalonnées et une définition qui accroît sensiblement la profondeur de champ en comparaison du DVD édité en 2007.
Le son DTS-HD Master Audio 3.1, très propre lui aussi, bénéficie s’une bonne dynamique, d’une large ouverture de la bande passante, surtout dans les aigus, mais aussi dans les graves, particulièrement dans la scène du bombardement de la forêt. La bande-son, dont le rôle est essentiel, est sensiblement élargie par le remixage 3.1.
Rappelons-le : Requiem pour un massacre a reçu le Prix de la meilleure restauration à la Mostra de Venise.
Crédits images : © Potemkine Films