Réalisé par Jacques Rivette
Avec
Sandrine Bonnaire, Jerzy Radziwilowicz et Laure Marsac
Édité par Potemkine Films
Sylvie Rousseau, biologiste spécialisée dans la recherche contre le cancer, apprend que son père, patron d’une industrie d’armement, que l’on croyait être tombé accidentellement d’un train, pourrait bien avoir été assassiné. Paul, le frère de Sylvie, surgit, armé d’un pistolet : il a reçu une photo montrant leur père sur le quai de la gare où il attendait l’arrivée du train et, en arrière-plan, son bras droit, Walser, qui prétendait être ailleurs à ce moment-là. Sylvie est résolue à découvrir la vérité…
Secret défense, sorti en 1998, le 17ème des 21 longs métrages réalisés par Jacques Rivette, sur un scénario qu’il a coécrit avec Pascal Bonitzer, coscénariste de treize films de Jacques Rivette, et Emmanuelle Cuau, est une variation très libre sur le mythe d’Électre, membre de la famille des Atrides, foyer de parricides, d’infanticides et d’incestes. Il fut adapté une douzaine de fois pour le théâtre, de l’antiquité à nos jours, quatre fois en opéra, notamment par Richard Strauss et, cinq ou six fois pour le cinéma, notamment par Dudley Nichols, en 1947, avec Le Deuil sied à Électre (Mourning Becomes Electra), par Michael Cacoyannis, en 1962, avec Électre (Ilektra), par Miklós Jancsó, en 1974, avec Pour Electre (Szerelmem, Elektra).
Le scénario de Secret défense, en gardant ses distances avec le mythe, centré sur le personnage de Sylvie (Électre) qui se substitue à Paul (Oreste) pour venger la mort de leur père Paul-André Rousseau (Agamemnon), prend des allures de film policier, un genre auquel Jacques Rivette ne s’était pas essayé.
Sandrine Bonnaire, intensément habitée par un personnage toujours hanté par la mort de sa soeur, âgée de 14 ans, de deux ans son aînée, déchirée par l’idée d’avoir à tuer Walser pour sauver son jeune frère, est solidement entourée, par l’acteur polonais Jerzy Radziwilowicz, dans le rôle-de Walser (en tête de distribution de L’Homme de fer (Czlowiek z zelaza, Andrzej Wajda, 1981), ainsi que Grégoire Colin, dans le rôle de Paul, de Laure Marsac dans ceux de Véronique et Ludivine, la secrétaire de Walser et sa soeur jumelle, et par Françoise Fabian, la mère de Sylvie.
Secret défense, avec une mise en scène minutieusement réglée, des décors naturels, des plans-séquences fluides, la photo William Lubtchanky, chef-opérateur de quinze films de Jacques Rivette, presque tous ceux qu’il a réalisés, de Duelle (une quarantaine), en 1975, à Ne touchez pas la hache, en 2007, s’inscrit dans la liste des meilleurs films du réalisateur.
L’enchaînement logique du scénario et l’habileté du montage réussissent à maintenir le suspense pendant les presque trois heures que dure le film, en dépit de quelques baisses de tension, particulièrement dans la longue scène du trajet de Sylvie pour confronter Walser : quinze minutes sans dialogues pendant lesquelles, à partir du moment où Sylvie boucle son sac, la caméra la suit jusqu’à la gare de Lyon, dans le TGV, pendant sa correspondance à Dijon, dans la micheline qui l’amène à Chagny, puis dans son cheminement à pied jusqu’au manoir de Walser (le château de Bellecroix).
Cette édition, sortie en même temps que Haut, bas, fragile, vient enrichir la récente collection de films restaurés de Jacques Rivette proposée par Potemkine Films, avec Céline et Julie vont en bateau, Le Pont du Nord, Jeanne la Pucelle (Les batailles + Les prisons).
Secret défense (173 minutes) tient sur un Blu-ray BD-50 et ses suppléments (80 minutes) sur un DVD-5, logés dans un boîtier non fourni pour le test.
Le menu animé et musical propose le film au format audio DTS-HD Master Audio 2.0 mono. Sous-titres anglais disponibles.
Piste d’audiodescription DTS-HD Master Audio 2.0.
Sous-titres pour malentendants.
Une édition DVD est sortie simultanément, avec le même contenu et au même prix.
Analyse du film par Pacôme Thiellement (32’, 2021, La Bête Lumineuse). Jacques Rivette n’a décidé qu’au dernier moment du dénouement du film dont l’intrigue est réglée par un scénario très structuré, dans un cadre géographique précis. Si la culpabilité de Walser est vite établie, il faudra attendre la fin du film pour connaître le mobile de son acte. Secret défense, « le film le plus ténébreux de Rivette » est aussi celui qui exprime « les relations les plus violentes entre classes sociales », avec des références à Jean Renoir, reflets des longs entretiens qu’eut Rivette avec lui en 1967 pour son documentaire en trois parties Jean Renoir le patron. On peut rapprocher Secret défense de Haut Bas Fragile, « la phase lumineuse » d’une histoire de secret de famille. Ce commentaire emprunte beaucoup à l’entretien avec Rivette, également en bonus.
Cinq prises, avec ou sans commentaire (12’). Laure Marsac dit avoir été intimidée par « le système Rivette » auquel Sandrine Bonnaire était accoutumée après Jeanne la Pucelle. Elles évoquent la direction d’acteurs du réalisateur.
Interview de Jacques Rivette (10’, extrait d’une interview de 61’). Jacques Rivette confie à Frédéric Bonnaud l’envie qu’il avait de réaliser un film contemporain avec Sandrine Bonnaire. Elle a rejeté la proposition d’un rôle de tueuse à gages, mais a accepté celui d’une « criminelle pour de bonnes raisons ». Il a combiné le thème d’un roman de Georges Bernanos, Un mauvais rêve, une histoire de meurtre commis au nom d’un autre, au mythe d’Électre. Il justifie la longueur du déplacement de Sylvie, épinglée par certains critiques. Le film, d’une logique inéluctable, « celle d’un théorème », aurait pu s’appeler La Mort dans l’âme, le titre d’un roman de Jean-Paul Sartre.
Entretien autour du scénario (25’) entre Pascal Bonitzer et Emmanuelle Cuau. Pascal Bonitzer avait écrit les 26 premières pages d’une intrigue policière avant qu’Emmanuelle Cuau n’intervienne. « Très peu de choses sont écrites (…) une façon de subordonner le scénario à la mise en scène (…) particulièrement dans la dernière partie du film. » La longueur de la scène du trajet jusqu’au manoir de Walser permet de communiquer les « hésitations et le désarroi de Sylvie » à l’idée de devenir une meurtrière. Les scénaristes évoquent les personnages secondaires, Paul, le frère de Sylvie, « un Oreste un peu castré », Walser « qui joue avec le feu », sa secrétaire, Véronique, et sa jumelle, Ludivine.
Bande-annonce, originale, sans extraits du film.
L’image (1.85:1, 1080p, AVC), après une restauration opérée en 2019 pour Les Films du Veilleur, avec les moyens techniques Hiventy, sous la supervision d’Irina Lubtchansky, assistante du chef-opérateur William Lubtchanky, est finement résolue, avec une réduction du grain à l’extrême limite d’un excès de lissage sur les visages en gros plans. Lumineuse, agréablement contrastée, avec des noirs denses, jamais bouchés, elle assure une parfaite lisibilité des scènes de nuit.
On relève un appréciable gain de résolution sur l’édition DVD du beau coffret Jacques Rivette - 6 films, sorti par ARTE Éditions en 2002, d’un bon niveau de qualité, mais affectée par quelques artefacts de compression.
Le son DTS-HD Master Audio 2.0 mono, très propre, délivre clairement et avec une bonne dynamique l’ambiance, celle des gares par exemple et, avec finesse, la musique baroque espagnole, interprétée par l’orchestre de chambre Hesperion XX, dirigé par Jordi Savall, accompagnant le générique et les crédits.
Un bémol avec les dialogues. Un occasionnel excès de réverbération, combiné à une articulation parfois mollassonne, peut gêner la compréhension de certains passages de la scène cruciale où Sylvie, dans le bruit ambiant de la micheline, apprend de sa mère le mobile de Walser.
Crédits images : © Pierre Grise Productions