Dressé pour tuer (1982) : le test complet du Blu-ray

White Dog

Combo Blu-ray + DVD - Édition Limitée

Réalisé par Samuel Fuller
Avec Kristy McNichol, Paul Winfield et Burl Ives

Édité par ESC Editions

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Le 15/10/2024
Critique

Adaptation impressionnante d’un récit de Romain Gary, métamorphosé par Fuller en suspense à la fois tragique et cauchemardesque.

Dressé pour tuer

USA, Los Angeles, 1981 : Julie, jeune actrice débutante, recueille un puissant chien-loup errant au joli pelage neige, heurté une nuit avec sa voiture. Elle le fait soigner, l’adopte momentanément et le signale afin que son propriétaire puisse le récupérer. Elle découvre trop tard que c’est un « chien blanc » dressé pour attaquer et tuer les personnes noires. En désespoir de cause, elle le confie à Keys, un dresseur noir connaissant bien la question : s’il échoue à modifier le comportement du chien à l’issue d’un délai fixé, il l’abattra. Julie accepte l’expérience mais elle ne se déroule pas comme prévue.

Dressé pour tuer(White Dog, USA 1981) de Samuel Fuller (1912-1997) est son dernier grand film américain. Très librement adapté par Curtis Hanson et Fuller du récit autobiographique de l’écrivain français Romain Gary (auquel le film est dédié), son adaptation venait après plusieurs autres écrites à partir de 1975 par plusieurs scénaristes mais dont aucune n’avait donné satisfaction aux producteurs successifs de la Paramount. J’avais autrefois publié un article (*) dans lequel je réfléchissais, parmi d’autres choses; sur le rapport de certains éléments du récit de Gary avec son adaptation cinéma par Fuller : j’y renvoie le lecteur car je m’intéresse ici surtout au film de Fuller.

Il faut d’abord rendre hommage à Robert Evans, un des grands producteurs de la Paramount, personnalité controversée mais remarquablement intelligent : il fut le premier à comprendre le potentiel cinématographique du récit de Gary. Sans lui, rien ne se serait peut-être passé. Les péripéties de la réécriture et du choix de Fuller comme réalisateur par un des successeurs de Evans - choix favorisé par le fait que Gene Corman (le frère de Roger) venait de produire l’inégal mais parfois remarquable film de guerre Au-delà de la gloire (The Big Red One, USA 1980) de Samuel Fuller - sont soigneusement décrites dans le livret joint à l’édition et je n’y reviendrai pas (sauf pour noter que la Paramount avait un moment songé à Don Siegel pour le réaliser).

Dressé pour tuer

La Paramount avait un moment songé à en faire un film d’épouvante gommant totalement la parabole anti-raciste : à Hollywood, comme en physique et en chimie, « rien ne se perd, rien ne se créé : tout se transforme » : ce qui donnera l’année suivante le film Cujo (USA 1983) de Lewis Teague d’après le roman de Stephen King, mais distribué aux USA par la Warner. Il est évident, pour qui a lu le récit original de Gary, que le scénario de Fuller et de Curtis Hanson (qui avait travaillé pour Roger Corman producteur dans les années 1970) n’en conserve que l’argument mais en modifie totalement le contexte : du récit réfléchi et anecdotique de faits réels survenus à la fin des années 1960, on passe 10 ans plus tard à une fiction, certes réaliste mais dans laquelle sont introduites des séquences de violence graphique - la plus spectaculaire étant celle tournée dans une église, sous un vitrail représentant saint François d’Assise - au style plastique baroque. D’une certaine manière, le film de Fuller alliait déjà la parabole symbolique (reposant sur une réalité historique) et le film d’épouvante : ce que lui permettait la liberté d’une série B (au budget cependant confortable) adossée à un distributeur de série A.

Le ressort fondamental du film n’est pas, contrairement à ce qu’on pourrait croire à première vision, la question de savoir si le chien pourra être « reconditionné » (le suspense manifeste repose - en grande partie - sur cette question) mais celle de la révélation de l’identité (le suspense latent, obsédant, profond repose sur cette autre question) de son dresseur initial. Elle a lieu au cours d’une séquence brève mais magistrale dont au moins un plan demeure inoubliable. Le thème de la folie - dont Luc Moullet avait autrefois écrit (à l’occasion d’un des hommages de la Cinémathèque française à Fuller, bien antérieur à celui de 2018) qu’on pouvait le considérer comme le thème majeur du cinéma de Fuller - est illustré dans cette séquence précise d’une manière purement psychologique ; il l’est graphiquement au moyen de la mise en scène littéralement démentielle des attaques meurtrières. La maîtrise technique de Fuller (et de Bruce Surtees, son directeur photo) demeure impressionnante : c’est, de ce point de vue, son dernier très grand film. 5 chiens jouaient le même animal selon les plans (2 « interprètes » et 3 « cascadeurs ») : la scène de la tentative de viol noxturne fut jouée par 3 chiens différents rassemblés en un seul au montage. Fuller aurait préféré un chien Berger allemand au poil brun classique mais la Paramount avait déjà lancé le dressage de chiens blancs avant de l’embaucher. Une erreur dans le dialogue : le dresseur noir joué par Paul Winfield déclare que les chiens vivent dans un monde en N&B (l’idée symbolique du générique d’ouverture repose en partie sur cette croyance). On sait pourtant aujourd’hui qu’ils les perçoivent : simplement ils ne les perçoivent pas comme nous, en distinguent bien certaines, en distinguent moins bien d’autres. Inversement, ils voient mieux la nuit que l’homme : les séquences nocturnes montrent très bien cela, notamment lors des premières attaques et lors de l’évasion de la cage.

Dressé pour tuer

Dressé pour tuer comporte une autre dimension, plus rarement évoquée : celle d’une mise en abyme du cinéma. Le casting final est très curieux car commercial et marginal, grand public et référentiel à la fois. Certains acteurs proviennent de l’écurie Roger Corman (par exemple Paul Bartel, Dick Miller), d’autres renvoient au cinéma B des années 1960 (Marshall Thompson avait joué en vedette dans des films fantastiques anglais signés par Arthur Crabtree et Robert Day) tandis que l’actrice principale est pratiquement inconnue mais ressemble, sur le plan de la morphologie, au visage de Fuller si on l’imagine féminisé. il comporte même un aspect hitchcokien puisque Samuel Fuller, Christa Lang-Fuller et leur fille Samantha sont brièvement visibles à l’image. La mise en abyme devient plus objective, sombre et inquiétante à l’occasion de deux franches citations d’histoire du cinéma : l’extrait du film de guerre Les Sacrifiés (They Were Expendable, USA 1945) de John Ford observé par le chien à la TV, la mention du risque mortel couru lors du tournage de la séquence des vipères dans le western True Grit - 100 dollars pour un shérif (True Grit, USA 1970) d’Henry Hathaway. Ce dialogue latent entre fiction et réalité devient manifeste et franchement tragique à l’occasion de l’attaque durant la séquence du tournage (d’une séquence considérée par son réalisateur, joué avec panache par Marshall Thompson, comme dérisoire). La scène demeure plastiquement stupéfiante et sa portée thématique est d’une belle profondeur : comme si, nous disait Fuller, la fiction humaine s’avérait finalement elle aussi maudite, incapable de rompre par la moindre catharsis le mauvais sort qui s’acharne sur l’homme.

Ulcéré par la décision de Paramount (menacée par des activistes qui refusaient qu’un film traitât ce sujet) de saborder la sortie américaine de Dressé pour tuer, constatant au même moment son triomphe critique et son honnête exploitation commerciale en France, Samuel Fuller s’exila avec sa famille à Paris. Dressé pour tuer est son ultime film américain : il demeure l’un des plus étonnants de sa filmographie en tant que réalisateur (1949-1981).

PS

Ne pas confondre Dressé pour tuer (White Dog, USA 1982) de Samuel Fuller et Pulsions (Dressed to Kill, USA 1980) de Brian de Palma dont les dates de sortie sont proches et dont les titres d’exploitation français et américain respectifs se correspondent euphoniquement bien qu’ils n’aient pas du tout la même signification. Notez d’autre part l’existence du film Chien blanc (Can. 2022) de Anaïs Barbeau-Lavalette, réputé bien plus fidèle au récit original de Gary que celle de Fuller et Hanson.

(*) Dans un article alliant histoire du cinéma, histoire littéraire et histoire de la philosophie, intitulé Chien blanc ou du chien blanc comme animal aboyant et comme constellation philosophique, publié en 2013 et depuis archivé sur Stalker-Dissection du cadavre de la littérature, repris en version revue in La Lance d’Athéna - tome 1 (éditions Ovadia, Nice 2021).

Dressé pour tuer

Présentation - 5,0 / 5

1 combo limité, sous étui, contenant 1 Blu-ray BD-50 région B + 1 DVD9 + 1 livret illustré 32 pages N.&B. et couleurs + 1 affiche imprimée recto-verso, édité par ESC le 18 septembre 2024. Durée film 90 minutes environ. Images en couleurs Full HD 1080p AVC au format original 1.85 respecté et compatible 16/9. Son DTS-HD Master Audio 2.0 mono VF d’époque + VOSTF. Suppléments Blu-ray : présentation par Samantha Fuller (2024, 22’07”) + entretien avec Nachiketas Wignesan, enseignant à l’université Sorbonne Nouvelle (2024, 26’16”) + conférence de Frank Lafond à la Cinémathèque Française, le 4 janvier 2018 (90’31”) + bande-annonce d’époque (1’43”, VO) + bonus caché : interview du chien par Samuel Fuller. Suppléments DVD : présentation par Samantha Fuller (2024, 22’07”) + bande-annonce d’époque (2’03”, VO).

Livret illustré 32 pages par Marc Toullec : globalement, bon travail qui examine précisément la longue genèse du film depuis l’intérêt de Robert Evans en 1975 pour le roman de Romain Gary édité en 1970 jusqu’à la distribution américaine avortée et son triomphe critique français en 1982, provoquant l’exil définitif de Samuel Fuller pour la France. Genèse de la production depuis 1975, modifications de plus en plus importantes du roman original par les scénaristes successifs, choix du cinéaste par la production, casting humain et animal, tournage, dressage animal, choix des extérieurs, menaces contre la Paramount par les activistes de la NAACP, sabotage de la distribution américaine, exil de Fuller en France : tout y est et rien ne manque ! Sur le plan matériel, presque pas de coquille syntaxique ni grammaticale (page 8, « S’il en fait rentrer l’un (sic) chez lui, il laisse l’autre sur le pas de sa porte (…) »), deux ou trois termes argotiques (page 3 Fuller aurait été « souvent considéré comme un emmerdeur (sic) ou un trublion (sic) » aux USA dans les années 1970-1980 ; page 16 « une fin couillue (sic) »). Page 23, un curieux résumé du scénario de J’ai vécu l’enfer de Corée (The Steel Helmet, USA 1951) de Samuel Fuller qui « traite de la ségrégation des noirs dans l’armée (sic) » alors que le sujet de ce film de guerre n’est absolument pas celui-là, même si un des soldats est noir. La bibliographie finale (à la dernière page) comporte une dizaine de sources (livres et articles français et américains) soigneusement mentionnées (ce qui est bien) mais, encore une fois, sans leur date (ce qui contrevient aux règles bibliographiques). Sur le plan des illustrations, quelques photos de plateau et / ou d’exploitation (mais ces dernières détourées, donc amputées de leurs lettrines publicitaires) et quelques photos de tournage ; la page 2 présente une couverture des éditions Gallimard qui n’est pas celle, contrairement à ce qu’indique sa légende, de la première édition originale mais celle d’une édition bien plus récente. La véritable édition originale Gallimard, collection NRF, Paris 1970 est visible ici : https://www.gallimard.fr/catalogue/chien-blanc/ 9782070270224

Dressé pour tuer

Bonus - 4,5 / 5

Le film qui a changé ma vie : présentation par Samantha Fuller (2024, durée 22 minutes environ, visible sur Blu-ray et sur DVD) : très bonne et contenant de nombreuses informations de première main sur le rapport de Fuller à la guerre, son admiration pour le roman de Robert Louis Stevenson (Dr. Jekyll et Mr. Hyde), le tournage (anecdote sur les 3 chiens utilisés pour la séquence de tentative de viol de Julie), la distribution avortée du film aux USA., réussie en France, l’exil du cinéaste et sa famille à Paris. Une légère erreur : le livre de Romain Gary n’est pas un « roman » fictif mais un récit de faits réels.

Entretien avec Nachiketas Wignesan, enseignant de cinéma à la Sorbonne nouvelle (2024, durée 26 minutes environ, visible uniquement sur Blu-ray) : bon résumé de la genèse de la production (mais forcément moins précis et moins détaillé que le résumé écrit de la même genèse dans le livret joint à l’édition) puis analyse esthétique et thématique de la syntaxe et de la morphologie du film, parfois plan par plan concernant certaines séquences (par exemple celle de la tentative de viol). Wignesan emploie, lui aussi, le terme erroné « roman » au lieu du correct terme « récit » concernant le livre de Romain Gary mais il en fournit une brève mais bonne analyse. Une erreur concernant la vision des chiens, reprise d’une phrase prononcée par Paul Winfield dans le dialogue original du film mais qu’il n’a pas vérifiée : les chiens ne voient pas « en N&B » comme il le répète, mais bel et bien en couleurs, même si leur perception des couleurs n’est pas la nôtre (ils perçoivent certaines couleurs comme nous, d’autres moins bien que nous). Notez que leurs yeux seraient, la nuit, moins bons que ceux des chats mais meilleurs que ceux des hommes : cet aspect est fidèlement montré dans le film.

Conférence de Frank Lafond à la Cinémathèque française (2018, durée 90 minutes environ) : uniquement disponible sur le Blu-ray. Ample bio-filmographie, précise et bien illustrée (extraits de films, affiches) de pavés-presse, prononcée lors de l’hommage rendu en 2018. Bonne introduction à la vie et à l’oeuvre de Fuller même si l’élocution est parfois un peu pénible.

Dressé pour tuer

Bande-annonce originale (durée 1’43”, format 1.37 compatible 4/3, couleurs, VO) : format recadré plein cadre mais bon montage efficace. De quand date-t-elle ? Du moment de la distribution avortée en 1982 ou bien de la distribution postérieure américaine des années 1990 au cinéma (un peu) et en VHS (surtout) ? Notez que le chien y est présenté comme chien d’attaque mais absolument pas comme dressé par un raciste pour attaquer et tuer des Noirs : volonté de préserver le suspense (dont cette révélation est un aspect essentiel durant la première demi-heure environ) ou embarras du studio (si elle date de 1981) inquiété par les possibles répercussions du sujet sur la distribution ?

Bonus caché : interview imaginaire du chien par Samuel Fuller (1982) : uniquement disponible sur le Blu-ray, on le trouvait déjà sur l’édition DVD américaine Criterion de 2008. Il s’agit d’un texte publicitaire rédigé par Fuller peu de temps après le tournage du film, publié dans le n°19 du journal Framework, dans lequel il imagine une conversation entre lui cinéaste et le chien acteur, concernant la genèse du film, son sens, l’adaptation du livre de Gary. Pour le trouver, je vous donne un indice : rendez-vous dans le menu suppléments et examinez ce qui se trouve sous le sous-menu « bande-annonce » : cliquez sur la tache de sang à droite en surbrillance et validez !

Edition collector matériellement soignée aux bonus fournissant toutes les informations nécessaires sur le film et son réalisateur. Le cinéphile anglophone souhaitant visionner des témoignages supplémentaires pourra se tourner vers l’ancienne édition américaine DVD Criterion de 2008 qui proposait des entretiens avec le producteur Jon Davison, le co-scénariste Curtis Hanson, le dresseur Karl Lewis-Miller (celui-là sous forme écrite), l’actrice (et veuve du cinéaste) Christa Lang-Fuller.

Dressé pour tuer

Image - 5,0 / 5

Beau transfert numérique Full HD 1080p AVC au format original respecté 1.85 compatible 16/9 d’une copie argentique très bien restaurée : cette édition ESC de 2024 dispose de la meilleure image actuelle numérique, évidemment supérieure à l’ancienne image DVD de l’édition américaine Criterion de 2008 mais aussi supérieure à l’ancienne image Blu-ray de édition anglaise Eureka de 2014. Direction photo signée Bruce Surtees qui avait beaucoup travaillé, durant les années 1970-1980, sur les films joués et réalisés par Clint Eastwood : parmi plusieurs prouesses plastiques, il faut au moins signaler les plans sophistiqués de l’attaque de l’actrice noire sous les yeux terrifiés de Julie, durant le tournage par les deux filles d’une séquence de film. La superposition d’une action « réelle » (filmée premier degré) et d’une action « irréelle » (filmée second degré) en perspective dans la même profondeur de champ, est raffinée. L’idée n’est pas neuve (Menahem Golan l’avait déjà utilisée en 1976 bien plus longuement et d’une manière non moins virtuose dans Lepke le caïd ) mais elle est admirablement exploitée. En attendant une édition UHD, cette édition ESC Full HD devient l’édition numérique intégrale de référence.

Dressé pour tuer

Son - 5,0 / 5

DTS-HD Master Audio 2.0 mono VF d’époque + VOSTF : offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone. Aucun défaut technique à signaler : report soigné et bon équilibrage musique-effets sonores-dialogues, sur les deux pistes, toutes deux bien nettoyées. La VOSTF est cependant bien supérieure sur le plan dramaturgique. Partition musicale signée Ennio Morricone (oscillant entre lyrisme un peu redondant et dynamique efficacité hollywoodienne) soigneusement mise en relief par le mixage.

Crédits images : © Paramount Pictures

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony