Réalisé par Byron Haskin
Avec
Charlton Heston, Eleanor Parker et Abraham Sofaer
Édité par Sidonis Calysta
Amérique du Sud, Brésil, 1901 : la jeune veuve américaine Johanna, désireuse de refaire sa vie, quitte la Nouvelle-Orléans pour épouser l’aventurier Leiningen, riche propriétaire terrien qui souhaite fonder une famille. Elle découvre un homme au caractère difficile mais qu’elle apprend à aimer et, surtout, à qui elle apprend à aimer. Une invasion cauchemardesque de meurtrières fourmis rouges de la race Marabunta sème alors la mort et la destruction sur des centaines de kilomètres carrés de jungle, menaçant bientôt directement leur domaine.
Quand la Marabunta gronde(The Naked Jungle, USA 1953) de Byron Haskin (1899-1984), produit par George Pal (1908-1980), est l’un des films fantastiques les plus originaux de leurs filmographies respectives. Adapté d’une nouvelle allemande de Carl Stephenson (publiée aux USA en 1938), le scénario brosse une étrange romance exotique qui vire, durant sa seconde partie, au film fantastique d’épouvante écologique avant la lettre. Il ne ressort pas de la science-fiction car son thème ne repose pas sur la mutation des fourmis, qu’elle soit physique comme dans Des monstres attaquent la ville (Them !, USA 1954) de Gordon Douglas ou bien mentale comme dans Phase IV (USA 1974) de Saul Bass. Il développe son intrigue à partir d’un phénomène réel connu des naturalistes et des entomologistes : les fourmis rouges Marabunta existent et celui qui a le malheur de les croiser, meurt le plus souvent.
Rétrospectivement, la structure du scénario de Quand la Marbunta gronde a peut-être influencé celle du scénario de Les Oiseaux (USA 1963) d’Alfred Hitchcock : une séduction féminine volontaire d’un homme d’abord réticent puis un désir enfin reconnu mutuel mais alors contrarié par une terrible menace de mort, projetant le couple formé au seuil de l’abîme et de la folie. Première partie très longue dans ces deux films car elle s’avère nécessaire à la formation de l’angoisse, au suspense qui monte inexorablement, amené par le réalisme des signes qui annoncent la catastrophe. Le désir de Johanna pour Christopher préfigure en 1953 l’invasion des fourmis rouges, de la même manière que le désir de Melanie pour Mitch préfigurera en 1963 l’invasion des oiseaux. Les spectatrices féminines américaines avaient été fascinées par la séquence où Charlton Heston violait brièvement mais très symboliquement Eleanor Parker en l’aspergeant d’un parfum qu’il lui reprochait de ne pas porter alors qu’il l’avait acheté spécialement pour elle : ce viol symbolique annonce à son tour le viol réel mais cette fois-ci cauchemardesque, en raison de ses gigantesques proportions, de sa terre par les fourmis. Il y a dans les deux films un jeu constant de miroirs et d’identification, dont la dynamique augmente l’intensité symbolique de la terreur finale.
Sur le plan de l’histoire du cinéma, on relève au générique d’ouverture le nom de John P. Fulton, le technicien des effets spéciaux de l’âge d’or 1931-1945 du cinéma fantastique Universal où il exerça la majorité de sa carrière en N&B avant de passer à la couleur chez Paramount et, occasionnellement, quelques autres firmes. Excellente interprétation d’Eleanor Parker (une des actrices hollywoodiennes préférées du regretté François Florent) et de Charlton Heston. Le scénario est signé de plusieurs noms mais ce serait finalement Ranald McDougall qui l’aurait effectivement finalisé. Byron Haskin réalisateur signe ici une mise en scène classique, émaillée de réguliers mouvements de caméra savamment dosés et tissant une toile syntaxique souvent formellement splendide, au montage élégant et souvent sophistiqué. Les filmographies sélectives fantastiques respectives de Byron Haskin et de George Pal comportent chacune environ une dizaine de titres, au budget oscillant de la série B à la série A.Quand la Marabunta gronde demeure un des plus célèbres.
1 combo comportant 1 Blu-ray BD-50 région B + 1 DVD-9 + 1 livret illustré de 24 pages, édités par Sidonys le 23 août 2024. Durée film 95 minutes environ. Images couleurs Full HD 1080p AVC (sur Blu-ray) au format original 1.37 respecté et compatible 16/9. Son DTS-HD Master Audio 2.0 mono VF d’époque + VOSTF. Suppléments identiques sur le Blu-ray et sur le DVD : présentation du producteur George Pal par Alexandre Jousse + bande-annonce originale.
Livret illustré 24 pages par Marc Toullec : genèse du projet et achat des droits de la nouvelle originale, écriture du scénario, tournage des extérieurs en Californie et au Panama, effets spéciaux et utilisation de différentes races de fourmis pour certains plans, conception psychologique des personnages, témoignages et citations de première main du producteur, du réalisateur, des acteurs principaux : vous saurez pratiquement tout ce qu’il faut savoir sur le plan historique, sans oublier la réception critique du film. Sur le plan matériel, les illustrations (couleurs et N&B) comportent affiches (sauf l’affiche française d’époque), photos de plateau et quelques photos d’exploitation.
Présentation de George Pal par Alexandre Jousse (durée 28 minutes environ) : honnête bio-filmographie commentée, solidement illustrée en affiches, photos et extraits de films, parfois rares. Ceux de La Machine à explorer le temps (The Time Machine, USA 1960) de Pal sont malheureusement anamorphosés ; ceux de quelques autres titres proviennent de DVD voire peut-être de VHS aux couleurs délavées, alors que ceux de La Conquête de l’espace (USA 1955) de Haskin produit par Pal, sont très beaux : états argentiques et vidéo très inégaux, donc. La diction de Jousse est claire ; il détache bien ses mots. Son ton sirupeux et la sonorité de sa voix évoquent Serge Bromberg lorsqu’il présentait la collection RKO aux éditions Montparnasse, au point qu’on pourrait parfois les confondre. Quelques jugements à l’emporte-pièce à nuancer : Les amours enchantés / Le Monde merveilleux des contes de Grimm (USA 1962) de Pal n’est certes pas un chef-d’oeuvre, malgré ce qu’assène Jousse au détour d’un de ses plans mais c’est en revanche effectivement, sur le plan purement technique, un des plus beaux films Cinerama des années 1960. Je puis en témoigner en connaissance de cause puisque je l’avais vu enfant à l’Empire Cinérama, le cinéma parisien disparu de l’avenue de Wagram (qui ne programmait d’ailleurs pas que des films en Cinerama mais aussi bien des CinemaScope 2.35 d’origine, tel que le si beau plastiquement Le Monde perdu (USA 1960) d’Irwin Allen, avec le même résultat spectaculaire puisque la projection se faisait sur le même triple écran immersif).
Bande-annonce originale (durée 2 minute 12 sec., VO) : états argentique et vidéo moyens mais document d’histoire de l’exploitation de première main.
Beau transfert numérique Full HD 1080p AVC au format respecté 1.37 compatible 16/9 d’une copie argentique assez bien restaurée. Il subsiste une quinzaine de brûlures discrètes et fugitives d’une fraction de seconde, une dizaine de très petites poussières blanches mais, sur la durée, elles sont sitôt aperçues qu’on les oublie car le restant est impeccable et la définition du Blu-ray restitue admirablement le Technicolor d’origine photographié par Ernest Lazslo et amplifie encore les effets spéciaux de John P. Fulton.
DTS-HD Master Audio 2.0 stéréo en VOSTF et VF d’époque : offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone. Aucun défaut technique à signaler mis à part une variation assez ample de niveau sonore au gré des séquences de la VF d’époque alors que le niveau de la VOSTF est homogène et, sans surprise, davantage dynamique. Belle partition musicale signée Daniele Amfitheatrof. Excellent doublage d’époque sur le plan dramaturgique, notamment la voix française d’Eleanor Parker. STF corrects et bien lisibles.
Crédits images : © Paramount Pictures