Les Ailes du désir (1987) : le test complet du 4K UHD

Retour attendu de ce poétique hommage à Berlin, après une nouvelle restauration qui sublime la magnifique photographie d’Henri Alekan.

Deux anges gardiens, Damiel et Cassiel, déambulent dans Berlin. Invisibles, ils observent les humains dont ils peuvent capter les plus secrètes pensées… Un jour, ils rencontrent un ancien ange devenu humain qui sent leur présence et leur communique sa foi en l’humanité. Damiel tombe alors amoureux d’une trapéziste et devient à son tour mortel…

Les Ailes du désir (Der Himmel über Berlin), sorti en 1987, a été sélectionné pour la Palme d’or et récompensé à Cannes par le Prix de la mise en scène, trois ans après Paris, Texas qui avait consolidé la réputation internationale de Wim Wenders, salué par trois prix à Cannes, la Palme d’or, le Prix FIPRESCI et le Prix du jury oecuménique, il remporta aussi le Prix du Syndicat Français de la Critique de Cinéma et le BAFTA Award de la meilleure réalisation.

Als das Kind, Kind war, wußte es nicht, daß es Kind war

« Lorsque l’enfant était enfant, il ne savait pas qu’il était enfant ». Ces vers du Lied vom Kindsein (chant sur l’enfance) de Peter Handke, coauteur avec Wim Wenders du scénario, donne d’emblée la tonalité poétique et onirique du film, juste avant la première séquence pendant laquelle l’ange Damiel observe Berlin en vue plongeante, perché sur le clocher en partie détruit de la Gedächnichtkirche (église du souvenir), stigmate des bombardements du 22 novembre 1943. Un peu plus tard, il poursuivra son observation du haut de la Siegessäule (colonne de la victoire) érigée en 1873 sur la Königsplatz.

Peter Handke, qui recevra en 2019 le Prix Nobel de littérature, avait coécrit en 1972 le scénario de L’Angoisse du gardien de but au moment du penalty (Die Angst des Tormanns beim Elfmeter) et, en 1975, écrit celui de Faux mouvement (Falsche Bewegung), deux autres films de Wim Wenders.

Damiel et Cassiel, deux anges gardiens, veillent sur les Berlinois dans les rues, dans la Staatsbibliothek, sur une autoroute, dans un décor de bunker pendant le tournage d’un film sur la seconde guerre mondiale et dans un cirque. Ils entendent les pensées des humains et, bien qu’ils soient invisibles, certains peuvent sentir leur présence.

Les Ailes du désir est une allégorie imaginée par Wim Wenders et Peter Handke pour exprimer un hommage, empreint de nostalgie, à leur ville, meurtrie par la seconde guerre mondiale. Une catastrophe évoquée à plusieurs reprises, par des archives montrant des corps alignés en bordure d’immeubles réduits à l’état de gravats par les bombardements dont certaines marques sont encore visibles, comme la Potsdamer Platz, encore à l’état de terrain vague au moment du tournage. Un vibrant hommage à Berlin qui, tel le phénix, a su renaître de ses cendres en tirant son énergie d’un long enclavement.

Ich weiss jetzt, was kein Engel weiss

« Je sais maintenant ce qu’aucun ange ne sait ». Cette pensée de Damiel souligne le changement de son regard sur les humains, maintenant que son amour pour Marion l’a rendu mortel. Il est interprété par Bruno Ganz qui, après plus de 120 films, nous a quittés en 2019, trois mois avant la présentation à Cannes de l’inoubliable Une vie cachée (A Hidden Life) de Terrence Malick. Le rôle de Marion est le premier tenu par l’actrice française Solveig Dommartin dont la carrière sera brutalement interrompue par un décès prématuré à l’âge de 46 ans, en 2007. C’est Otto Sanders qui incarne Cassiel, l’autre ange gardien, qu’on avait déjà vu en 1976 avec Bruno Ganz dans La Marquise d’O… (Die Marquise von O…) d’Éric Rohmer. Peter Falk, popularisé sur toute la planète par la diffusion des 45 épisodes de la première série de Columbo, campe l’acteur principal du film tourné dans un décor de bunker.

Pour le tournage de Les Ailes du désir, Wim Wenders a réussi à obtenir deux précieuses collaborations. Pour la photographie, celle d’Henri Alekan, le chef-opérateur de La Belle et la Bête de Jean Cocteau en 1945, de Vacances romaines (Roman Holiday) de William Wyler en 1953…). À près de 80 ans, il tournera encore sept films avant de prendre sa retraite en 1993. Et l’appui de Claire Denis, première assistante-réalisatrice, une de ses dernières fonctions à ce poste avec Paris, Texas et Down by Law de Jim Jarmusch, juste avant qu’elle ne réalise son premier long métrage, Chocolat.

Signalons aussi la partition de Jürgen Knieper, compositeur de la musique de six autres films de Wim Wenders, dont La Lettre écarlate (Der scharlachrote Buchstabe, 1973), L’Etat des choses (Der Stand der Dinge, 1982) et Lisbonne Story (1994).

Les Ailes du désir nous revient dans un habit neuf, après la restauration opérée en 2017, sous le contrôle de Wim Wenders, pour l’image par Arri Media, après scan 4K des négatifs originaux noir et blanc et couleurs, et pour le son par Basis Berlin Postproduktion, à partir des bandes magnétiques Dolby stéréo avec un remixage 5.1.

La réédition de Les Ailes du désir est le clou d’une belle rétrospective Wim Wenders entreprise en 2023 par Carlotta Films avec la ressortie de L’Ami américain, de la Trilogie de la route (Alice dans les villes / Alice in den Städten, 1974, Faux mouvement / Falsche Bewegung, 1975, et Au fil du temps / Im Lauf der Zeit, 1976), de Chambre 666, sur les questions qu’il a posées pendant le festival de Cannes de 1982 à plusieurs réalisateurs sur l’avenir du cinéma, et de Chambre 999 sur les réponses données à la même question par trente cinéastes, dont Wim Wenders, à la réalisatrice Lubna Playoust.

Les Ailes du désir (129 minutes) et ses suppléments (104 minutes) tiennent sur un Blu-ray 4K UHD BD-100 et sur un Blu-ray BD-50 logés dans les couvertures d’un Mediabook.

Le menu propose le film dans sa version originale, l’allemand, le français et l’anglais, avec sous-titres optionnels et le choix entre deux formats audio, DTS-HD Master Audio 5.1 ou 2.0 stéréo, ainsi que dans un doublage en français au format DTS-HD MA 1.0.

Le livre de 208 pages, intitulé Le Ciel de Berlin : Les Ailes du désir de Wim Wenders, s’ouvre sur un texte écrit par le réalisateur en décembre 2017 pour le trentième anniversaire du film : un rappel du tournage avant la chute du mur, un coup de chapeau à une équipe cosmopolite, en particulier à Henri Alekan, la restauration du film… Un cahier de vingt pages de photos précède la traduction en français du scénario et des dialogues. En haut des pages, une photo emblématique de chaque séquence.

Deux éditions single sont aussi disponibles, l’une sur Blu-ray UHD BD-66, l’autre sur Blu-ray BD-50.

Entretien avec Wim Wenders (Wim Wenders Stiftung, anglais, sous-titré, 27’). Une nouvelle restauration s’imposait pour obtenir une meilleure qualité d’image sur le support DCP aujourd’hui utilisé par presque toutes les salles de cinéma. Elle fut faite à partir des négatifs originaux noir et blanc et couleurs, en suivant scrupuleusement le montage d’origine. Elle offrit une qualité d’image encore jamais obtenue, mettant en valeur la beauté de la photo d’Henri Alekan, « désormais un archange au paradis des cadreurs ». La qualité de l’accompagnement musical a nettement bénéficié de la remasterisation en 5.1 du son optique stéréo. Il y avait un plan d’ensemble pour la mise en scène, mais rien n’était écrit : ce qui laissait, chaque jour de tournage, une place à « l’invention du prochain vers d’un poème ». Quelques prises clandestines donnent un bref aperçu de Berlin-Est qui paraissait être alors un pays étranger. La restauration fut « l’occasion de revoir une ville qui n’existe plus (…) de faire un voyage dans le temps », à l’époque où la Potsdamer Pltaz n’était qu’un terrain vague, coupé en deux par le mur…

Scènes coupées avec accompagnement musical (7’), également restaurées.

Scènes coupées avec commentaire de Wim Wenders enregistré en 2003 (anglais, sous-titré, 32’).

Vol en hélicoptère au-dessus de Berlin (11’), dont certains plans ont été insérés dans le montage final.

Wim Wenders, Berlin janvier 1987, Cinéma, Cinémas (10’), diffusé par Antenne 2 le 17 février : le tournage de la scène sur la seconde guerre mondiale, commenté en français par Wim Wenders.

Invitation au voyage : Berlin, capitale du désir de Wim Wenders (15’), diffusé par ARTE en 2018. Un retour sur les lieux de tournage, trente ans après, « dans une ville lourde de son histoire, de ses blessures, qui s’est réinventée comme aucune autre en Europe » : la Potsdamer Pltaz, la Staatsbibliothek, le Kurfürstendamm, le quartier de Kreuzberg, foyer de la contre-culture, l’East Side Gallery, le vestige du mur… « Ce sont les lieux qui ont inventé l’histoire » dit Wim Wenders en français…

Bande-annonce de la restauration (2017, 1’45”).

L’image, en couleurs et noir et blanc, au ratio de sa sortie en salles, 1.66:1, après encodage 2160p, HEVC SDR, soigneusement nettoyée, est d’une qualité qui n’avait jamais été obtenue avant la restauration opérée en 2017 à partir des négatifs originaux. Stable, finement résolue, elle déploie un dégradé de gris et une délicate palette de couleurs soigneusement étalonnées en préservant le grain du 35 mm.

Le choix est offert entre le DTS-HD Master Audio 2.0, le format stéréo de la sortie du film en 1987, et un remixage multicanal DTS-HD MA 5.1. Débarrassé des bruits parasites, sans souffle, avec une bonne dynamique et une ouverture satisfaisante de la bande passante, il assure la clarté des dialogues, au timbre un peu couvert, dans un bon équilibre avec l’ambiance et l’accompagnement musical, auquel profite surtout le discret remixage 5.1, sans effets artificiels.

Le doublage mono en français, au format DTS-HD MA 1.0, s’il est lui aussi très propre, est affecté par des dialogues placés trop en avant au point de souvent masquer l’ambiance. Il n’a pas été pris en compte pour l’attribution de la note.

Crédits images : © 1987 ROAD MOVIES GMBH - ARGOS FILMS / © 2017 WIM WENDERS STIFTUNG - ARGOS FILMS. Tous droits réservés.