Prix SFCC DVD/Blu-ray/UHD 2022 : interview Rimini

Jean-Pierre Vasseur

Alors que le Jury DVD/Blu-ray a accordé à l’unanimité le Prix dans la catégorie patrimoine au coffret collector de L’Homme tranquille de John Ford, Philippe Gautreau, chroniqueur de DVDFR.com et membre du jury, a interrogé Jean-Pierre Vasseur, créateur et acteur unique de Rimini Édition qui vient de fêter, avec les honneurs, son dixième anniversaire.

One man show!

Jean-Pierre Vasseur, après avoir travaillé pour Fil à Film et Opening et ressenti l’évolution du marché, a décidé de se mettre à son compte fin 2012. Il crée sa propre maison d’édition vidéo qu’il a, en raison des « bons souvenirs » qu’il a de l’Italie, baptisée Rimini, la ville qu’avait quittée Federico Fellini 74 ans plus tôt pour partir à la conquête de Rome.

À Rimini Éditions, Jean-Pierre Vasseur, installé à Rennes, fait à lui seul - ou presque - tout le travail : la recherche des films à éditer, l’achat des droits, la définition des suppléments, la conduite d’une bonne partie des entretiens avec les intervenants, la supervision de leur présentation, en vidéo ou livret (avec une chasse impitoyable aux fautes d’orthographe !), le suivi du dessin des boîtiers, de la sérigraphie des disques, des menus, avec l’aide de graphistes, le suivi du pressage, les relations avec les trois distributeurs, Seven 7, en particulier pour la collection dédiée aux films d’horreur, ESC Distribution et Arcadès pour ceux du patrimoine.

Jean-Pierre Vasseur reste actif, sans relâche : il a édité en dix ans quelques 350 titres au rythme moyen de deux ou trois éditions par mois. Ce qui ne l’empêche pas de rester étonnamment disponible : il répond, vite et bien, à tous les e-mails !

Un cap éditorial bien défini

Les quelques ouvertures passées vers des documentaires, vers des films récents, tels Les 3 crimes de West Memphis (Devil’s Knot, Atom Egoyan, 2013), édité en 2014, L’Ennemi de la classe (Razredni sovraznik, Rok Bicek, 2013), édité en 2016, ou encore vers deux insolites miniséries, Meurtre au pied du volcan (Hraunið, Reynir Lyngdal, 2014) ou  The Body Collector (De Zaak Menten, Tim Oliehoek, 2016), ne doivent pas faire illusion. Elles n’étaient motivées que par le besoin de lancer l’activité à moindre frais ou le résultat d’accords ponctuels passés avec des distributeurs. Le terrain de chasse de Rimini Éditions est et restera le cinéma de patrimoine.

Une belle place a été réservée à Billy Wilder depuis 2018 avec un coffret de cinq films, réédités séparément avec quatre ou cinq autres. Mais, parallèlement, aussi au cinéma d’horreur dans la Collection Angoisses, notamment avec l’édition de treize films, la plupart inédits, dans le Coffret 13 nuances de terreur, sorti en 2021, et la sortie récente, en première exclusivité de La Peau sur les os (Thinner, Tom Holland, 1966) et de One Dark Night (Nuit noire) (Tom McLoughlin, 1982).

Jusqu’à ces derniers mois, le créneau du cinéma de patrimoine restait assez porteur. Il y a eu quelques flops, mais, dans l’ensemble, le coût d’une édition s’amortissait dans les douze mois et, parfois, beaucoup plus vite comme ce fut le cas, récemment, pour Magic (Richard Attenborough, 1978) et Alice, Sweet Alice (Communion, Alfred Sole, 1976). Depuis quelques mois, les choses sont un peu plus compliquées, à l’instar d’autres secteurs d’activité.

Débusquer raretés et inédits 

Feuilleter le catalogue de Rimini Éditions avec ses quelques 350 titres, c’est découvrir, 25 ans après l’apparition en France du DVD, de nombreux films oubliés, voire inconnus. Qu’ils aient été réalisés par de grands auteurs, comme les trois premiers westerns de John Ford, Les Carrefours de la ville (City Streets, Rouben Mamoulian, 1931), Les Yeux de Satan (Child’s Play, Sidney Lumet, 1972), L’Oeuf du serpent (The Serpent’s Egg, Ingmar Bergman, 1977) ou l’extraordinaire film de Kon Ichikawa, Feux dans la plaine (Nobi, 1959)… la liste est longue ! Ou des œuvres de cinéastes moins connus, comme 20.000 lieues sous les mers (20,000 Leagues under the Sea, Stuart Paton, 1916), La Maison aux sept pignons (The House of the Seven Gables, Joe May, 1940), Le Quatrième homme (Kansas City Confidential, Phil Karlson, 1952), Cromwell (Ken Hughes, 1970), Une âme perdue (So Evil My Love, Lewis Allen, 1948), Panique année zéro (Panic in Year Zero!, Ray Milland, 1962), Les Pirates du métro (The Taking of Pelham One Two Three, Joseph Sargent, 1974)…

Les belles grosses éditions

Bon an, mal an, sortent une ou deux éditions exceptionnelles. On se souvient de l’Édition Collector Les Vikings (Richard Fleischer, 1958), sortie en 2018, de l’Édition Mediabook Collector de Khartoum (Basil Dearden, 1968), sortie en 2019, de l’inestimable Fellini Roma, sortie en 2018, devenue, avec ses suppléments inédits, une édition de référence.

2022 n’a pas échappé à la règle avec deux parutions en novembre, Freud, passions secrètes (Freud, 1962), une œuvre à part dans la filmographie de John Huston et, last but not least, L’Homme tranquille (The Quiet Man, 1952) de John Ford.

L’Homme tranquille, toute une entreprise

L'Édition Collector Blu-ray + DVD est le fruit de plus d’un an de travail de Jean-Pierre Vasseur sur les bonus : le livre de Christophe Chavdia coédité avec La Plume, l’entretien entre Frédéric Mercier, critique à Transfuge, et Cécile Cornet, doctorante en cinéma, autrice de L’Écriture de l’histoire au miroir du cinéma, Les westerns de John Ford proposant un "double regard" sur le film, celui d’une femme et d’un homme. Parallèlement, lancer la recherche des deux documentaires inédits en France, Innisfree (José Luis Guerín,1990) et Le Rêve irlandais de John Ford (Sé Merry Doyle, 2011), concevoir les visuels et le conditionnement… Tout cela devait être bouclé pendant l’été pour éviter l’allongement des délais de fabrication en fin d’année.

Tout ce travail, souligne Philippe Gautreau, en fait l’édition de référence du film, dépassant d’une longueur la pourtant remarquable Signature Edition du 60ème anniversaire sortie par Olive Films en 2016 aux USA.

Deux mois après sa sortie, les 2 500 exemplaires ont quasiment tous été vendus. À condition d’être soutenu par la notoriété du film, ce type d’édition trouve assez facilement son public. Peut-être même L’Homme tranquille aurait-il été moins bien reçu dans une édition simple. Le film sera à nouveau disponible en édition single, Blu-ray et DVD, à partir du 19 avril 2023, avec les bonus vidéo de 2022. 

Les perspectives

Jean-Pierre Vasseur mijote, pour la fin de l’année 2023, une édition exceptionnelle de 1984, l’adaptation par Michel Radford du roman dystopique Nineteen Eighty-Four, publié par George Orwell en 1949. Avec une interview du réalisateur enregistrée à Londres avant Noël déjà en boîte, il creuse l’idée d’un livre sur la résonnance que peut avoir ce roman visionnaire avec la société contemporaine.

Couvent aussi une belle édition de Dillinger (John Milius, 1973), la sortie de Bunker Palace Hôtel d’Enki Bilal, de Trapèze de Carol Reed, de Le Souffle de la tempête (Comes a Horseman, Alan J. Pakula, 1978) et de Casino Royale, la parodie de film d’espionnage réalisé en 1967 par John Huston et cinq autres cinéastes qui sera couplée à sa première adaptation pour la télévision et à un livre. Dans le genre film noir, il envisage Le Grand couteau (The Big Knife, Robert Aldrich, 1955).

Jean-Pierre Vasseur a déjà commencé à poursuivre, dès le mois de janvier 2023, sa diffusion de raretés ou d’inédits extraits du filon du patrimoine avec Deux sur la balançoire (Two for the Seesaw, Robert Wise, 1962) et deux films de guerre de Sergeï Bondarchuk, Le Destin d’un homme (Sudba cheloveka, 1959) et Ils ont combattu pour la patrie (Oni srazhalis za rodinu, 1975), complétés par des entretiens avec Joël Chapron, spécialiste du cinéma soviétique.

Dans l’horreur, les collections Collection Angoisses et 100% Frayeur vont continuer de s’enrichir avec la sortie, en mai, de Mutant (Night Shadows, John 'Bud' Cardos et Mark Rosman, 1984) et, en juin, de Sweet Sixteen (Jim Sotos, 1983), encore inédits en vidéo.

Jean-Pierre Vasseur s’interroge sur le format 4K Ultra HD qui, en raison du surcoût qu’il entraîne, suppose de trouver des films « en adéquation » avec ce nouveau support ; par exemple, un film de genre, pas trop ancien, susceptible de séduire les « cinéphiles technophiles ».

L’influence de la critique

Jean-Pierre Vasseur fait régulièrement appel à des critiques et historiens du cinéma pour les compléments des films proposés par Rimini Éditions. Pour les livrets, par l’intermédiaire de deux sociétés, La Plume et C’mon Screen, il sollicite souvent Christophe Chavdia et, pour l’horreur, Marc Toullec. Pour les entretiens, des critiques ou historiens du cinéma, tels Olivier Père, Laurent Aknin, Bernard Eisenschitz, Jean-François Rauger, Mathieu Macheret, Fréderic Mercier, Nachiketas Wignesan et bien d’autres encore, ainsi que des universitaires enseignant le cinéma. Il s’efforce d’obtenir d’eux, à côté d’un constat factuel, une analyse personnelle du contenu du film, et veille à ce qu’entretiens et livrets se complètent, sans redites.

La critique des éditions sur support papier, le plus souvent limitée au film, ou en ligne, couvrant aussi le contenu des éditions, exerce un soutien « indéniable » à l’activité de l’édition vidéo, bien qu’il soit difficile d’en donner une mesure précise.

Au-delà, elle vaut aussi pour son encourageante reconnaissance de la qualité du travail fourni par les éditeurs vidéo, une reconnaissance particulièrement touchante quand elle s’exprime par la remise du Prix par le SFCC !